L’UKRAINE, UNE NATION QUI SE CHERCHE… … et (re)trouve la Russie

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Nation sans état longtemps oubliée, puis négligée, l’Ukraine se trouve depuis  environ un an sous le feu des projecteurs de l’actualité à l’occasion de ses démêlés avec son puissant voisin russe.

Mais que connaît le public occidental, et plus particulièrement français, de l’Ukraine ?

Une image souvent romanesque à travers la lecture de Tarass Boulba de Nicolas Gogol (1) où le héros éponyme, vieux chef cosaque, tue son propre fils, qui par amour pour une Polonaise trahi son pays et son peuple. Ou bien celle de Maroussia de P-J Stahl, petite fille aux tresses blondes et aux yeux clairs, tuée par un cavalier Tartare au service des Russes, et sur la tombe de laquelle un Cosaque, avec le bras qui lui reste, « portant la terre poignée par poignée », élève un nouveau kourgane.

L’approche (vestiges ancestraux, pays disputé entre Pologne et Russie, menace Tartare, patriotisme et discorde) n’est pas fausse, comme nous le verrons plus loin, mais mérite une étude plus rigoureuse.

Ici comme ailleurs le passé explique le présent, et pour comprendre le conflit actuel il faut commencer par étudier l’histoire de ce territoire, écartelé depuis les origines entre l’Est et l’Ouest – et en outre menacé jusqu’à il n’y a pas si longtemps par le Sud. L’on se limitera néanmoins à un survol mettant plus particulièrement en lumière les pans de l’histoire de l’Ukraine qui éclairent sa situation actuelle.

Mais tout d’abord il faut la présenter sur le plan géographique, ce qui sera plus bref.

Un pays vaste mais sans frontières naturelles, constituant un enjeu majeur :

Avertissement : compte-tenu justement des limites fluctuantes du territoire ukrainien, nous prendrons conventionnellement comme frontières celles existant au moment de sa dernière accession à l’indépendance (1991), ce qui, comme on le constatera, ne présume nullement de la légitimité des droits sur la Crimée ou le Donbass. De même il sera usé de l’orthographe des noms propres estimée la plus familière au lecteur français, qui est souvent celle de la langue russe, ce qui ici encore ne témoigne d’aucun parti pris mais est pure commodité, d’autant plus que les auteurs ukrainiens peuvent écrire différemment le même mot.

« L’Ukraine occupe le sud de la plaine russe, entre 52° de latitude Nord et les côtes septentrionales de la mer Noire et de la mer d’Azov » écrit le Grand Larousse encyclopédique. Pour schématiser, et hors la zone montagneuse carpatique à l’Ouest et la presqu’île de Crimée au Sud, le pays se découpe en trois « bandes » de terres peu élevées s’étalant d’Est en Ouest, et qui constituent du Nord au Sud : une zone boisée (du moins à l’origine), une steppe semi-boisée, enfin une  « steppe franche », la fertile « terre noire ». C’était aussi pendant longtemps celle hantée par les peuplades nomades venues d’Asie, ce dont il sera traité dans la partie historique. Il faut ajouter à ceci une coupure importante, grossièrement « verticale » Nord-Sud : la vallée du fleuve Dniepr, qui, pour le plus grand dommage du point de vue de l’unité de l’Ukraine, forme une limite naturelle entres ses parties orientales et occidentales, et sur laquelle se trouve établie la capitale du pays, Kiev. En revanche les frontières actuelles n’ont de base qu’historico-ethnique. Ces derniers éléments auront un impact majeur sur l’histoire du pays comme nous le verrons plus loin.

Longtemps l’Ukraine fut considérée comme « le grenier à blé de l’Europe » et reste une grande puissance agricole, avec par exemple une production de céréales d’environ 40 millions de tonnes (2). C’est (et surtout c’était) aussi une grande puissance industrielle, grâce aux richesses de son sous-sol et à l’industrie lourde héritée de la période soviétique : 40% de l’acier de l’ex-URSS selon le Quid. Et le Grand Larousse présentait ainsi le Donbass : « C’est une des plus grandes régions industrielles de l’URSS. Etc. » La fabrication d’armements étant parmi les activités majeures, ce qui peut contribuer à expliquer l’intérêt porté par certaines grandes puissances, et tout particulièrement la Russie, à cette jeune république.

La République d’Ukraine, qui a hérité des limites de la République Socialiste Soviétique (RSS) du même nom, a des frontières communes avec sept autres états : Moldavie, Roumanie, Hongrie, Slovaquie, Pologne, Biélorussie et surtout Russie. Kiev, sa capitale, compte environ 2,6 millions d’habitants, et les autres villes principales sont : Kharkov (1,5 M), Dnipropetrovsk (1,5 M), Odessa (1,2M), Donetsk (1,1 M), Lvov (0,8M). Le pays reste malgré tout largement rural.

Nous serons amenés à revenir sur le problème linguistique, fondamental, mais l’on peut déjà signaler que la langue ukrainienne, voisine du russe, appartient au rameau oriental  de la branche slave, elle-même faisant partie de la famille des langues indo-européennes. Elle était bannie de la vie publique à l’époque russe, alors qu’aujourd’hui c’est le russe auquel on refuse le statut de « langue officielle ». Il y aurait actuellement 67% d’ « ukrainophones » contre 24% de « russophones », mais ces statistiques sont illusoires dans la mesure où l’emploi n’est pas le même : on peut à la fois pratiquer la « langue maternelle » chez soi et la « langue des élites » à l’extérieur, outre que l’ukrainien est plutôt le parler des campagnes et le russe celui des villes : l’auteur d’origine ukrainienne M. Riabtchouk y voyant une situation « post-coloniale » (in De la « Petite-Russie » à l’Ukraine (2003).

Enfin, ce que peut ignorer le Français peu féru de géographie, l’Ukraine est, après la Russie, le DEUXIEME PAYS DU CONTINENT EUROPEEN par la superficie : 603 700 km2 (3). En revanche le chiffre de sa population,  dont la croissance est négative depuis l’indépendance, n’était plus en 2013 que de 45,49 millions d’habitants (4) – ce qui la classe tout de même en ce domaine parmi le peloton de tête des pays européens (3).

Une histoire qui vient de loin :

Il est en quelque sorte permis de dire que les « premiers Ukrainiens » sont les Pithécanthropes, présents sur le territoire de l’actuelle république il y a – 1 000 000 d’années. Ils sont suivis par les Néandertaliens (-130 000 à – 28 000), éliminés ou assimilés comme ailleurs par les Homo Sapiens Sapiens  ou « hommes modernes ».  

Mais ce qui fait l’originalité du territoire (bassin du Dniepr et du Dniestr) est l’apparition de la culture de Tripolié (4 500 – 3000 av. J-C), ignorée des encyclopédies françaises. L’historien d’origine ukrainienne Iaroslav Lebedynsky (c.f. note 4) la qualifie de « … remarquable par son niveau d’évolution social et technique ». On peut la rattacher à la civilisation chalcolithique (« âge du cuivre ») et elle connaît déjà ce que l’on qualifierait de « villes moyennes », en outre l’artisanat (céramique) ainsi que l’agriculture y étaient très développés (5).

« L’Ukraine est-elle le berceau des Indo-Européens ? » : c’est la question posée par l’un des paragraphes du livre déjà cité de I. Lebedynsky, qui y répond de manière largement affirmative en évoquant la « théorie des Kourganes » qui est « la plus cohérente et semble adoptée par une majorité de spécialistes » parmi lesquels Marija Gimbutas, dont les travaux sur la protohistoire est-européenne font référence. Rappelons à l’intention de ceux qui ne seraient pas familiers du sujet que les kourganes (mot russe désignant un tumulus), sont des tombes monumentales que l’on trouve dans le sud de la Russie et l’est de l’Ukraine, dont les bâtisseurs auraient « indo-européanisé » divers peuples conquis, dont les tripoliens (6).

C’est seulement dans le premier millénaire av. J-C qu’apparaissent les nomades, eux aussi indo-européens à l’origine (ou de moins parlant des langues indo-européennes), les « Cimmériens » des auteurs grecs, puis les Scythes, qui en se sédentarisant créeront sur le bas Dniepr et à l’emplacement de la future Crimée  un « puissant royaume qui dura au moins jusqu’à la fin du IIe siècle de notre ère » (I. Lebedynsky). C’est alors qu’arrivent  venant de la Baltique (7) des Germains : les Goths. Sous la dynastie sacrée des Amales ils fondent aussi « un puissant royaume » s’étendant de l’Ukraine à la Roumanie actuelles. Leur influence sur ceux que l’on qualifie de « Proto-Slaves » est attestée au moins par des emprunts de vocabulaire. L’arrivée d’autres nomades, cette fois asiates, les Huns, met fin au royaume goth (376 ?). Mais leur domination ne durera pas un siècle : après le règne du célèbre Attila l’empire se dissous (454).

Toujours en nous efforçant de « faire court », mentionnons au passage que la Crimée a été (partiellement) à partir de 528 soumise à une administration byzantine (empereur Justinien).

Enfin les Slaves apparaissent :

Peu avant d’être défait par les Huns en 376 ( ?) le roi goth Vithimir avait vaincu la tribu (ou fédération ?) des Antes, population majoritairement slave « à l’évidence » (Lebedynsky) qui avec les Sclavènes formait « une vaste nébuleuse slavophone » (idem). Ces Slaves venus du Nord vont profiter des difficultés de l’Empire romain d’Orient pour s’établir dans la région, les Sclavènes envahissant principalement les Balkans, tandis que les Antes préfèrent s’allier avec Constantinople (543/4) et affronter les précédents. D’aucuns les présenteront un peu rapidement comme les ancêtres des Ukrainiens. Du moins est-il admis l’existence d’un ensemble de « Slaves Orientaux » comprenant ceux-ci, plus les Russes et Biélorusses. La différentiation linguistique se fera progressivement, du moins ces parlers resteront-ils apparentés à la manière des différentes langues scandinaves. Ces peuples seront à l’origine de l’Etat kiévien, « ensemble politique et culturel (qui) portait le nom de Rous’ » (Lebedynsky).  Appellation revendiquée par l’historiographie russe qui parlera de « Russie de Kiev ». Or, comme on sait, cette ville est la capitale de l’actuelle Ukraine, dont les citoyens contestent bien sur cette appropriation. Pour l’historien ukrainien contemporain déjà cité à plusieurs reprises, et qui consacre plusieurs pages au sujet, cet Etat « n’était pas plus la « Russie » que l’ « Ukraine » ou la « Biélorussie ». Quant à A. Joukovsky, il parle prudemment dans son ouvrage déjà cité (c.f. note 5) de « tribus proto-ukrainiennes » qui au début du VIIIe siècle furent obligées de payer un tribut au khanat des Khazars (8).

Les Varègues ou Rous’ :

La connaissance des évènements qui se sont déroulés à l’époque dans la région repose essentiellement sur la Chronique des années écoulées, achevée de rédiger au début du XIIe siècle.

 Celle-ci mentionne que les Varègues (9) vinrent en 859 lever tribut sur les Slaves orientaux. Dans un premier temps ceux-ci s’insurgèrent, puis « les rappelèrent pour les gouverner » (Lebedynsky), compte-tenu de l’anarchie régnante. La Chronique précisant : « ces Varègues se nomment Rous’ (…) et la terre ruthène a pris le nom de ces Varègues ». Ils occupèrent Kiev et libérèrent les Slaves de la tutelle des Khazars.

Précisons que si cette version d’un peuple Kulturträger apportant la civilisation à des « Barbares » (la « théorie normande »), à eu la faveur des historiens germaniques, et plus particulièrement scandinaves (et mêmes ceux de la Russie impériale), elle a été aussi contestée par leurs homologues russes et ukrainiens, surtout à l’époque soviétique, qui eux parlaient de « mythe varègue ». Les historiens ukrainiens contemporains tels que Joukovsky et Lebedynsky ne mettent plus en doute l’ « influence certaine sur la formation de la Rous’ » de ces nordiques pour le premier, et que « l’origine varègue de la dynastie attestée à Kiev à partir de la fin du IXe siècle est très probable » pour le second. Même si celui-ci prétend qu’il ne faut pas prendre la Chronique au pied de la lettre.

Toujours est-il que les souverains régnant sur Kiev affichent des anthroponymes scandinaves, jusqu’à Igor (d’abord prince de Novgorod) qui combattit les Petchenègues, nomades turcophones occupant les steppes méridionales, et se lança dans une opération contre Constantinople. A sa mort en 945 son épouse Olga assuma la régence pour leur fils Sviatoslav, premier de la dynastie à porter un nom slave.

Il faut souligner la querelle sémantique, déjà évoquée plus haut, au sujet de la « propriété » du mot Rous’, donc de la filiation avec l’Etat kiévien en quelque sorte mythifié. Ainsi pour les Russes, ce serait l’origine du mot « Russie ». Les choses seraient moins simples selon Lebedynsky, qui bien sur réagit en tant qu’Ukrainien : sans nier cette filiation, il affirme que Russie viendrait plus précisément de Rossiïa (XVIIIe siècle), et pour botter en touche, plutôt que Rous’ « préfère la vieille traduction occidentale de « Ruthénie » pour désigner le pays des Slaves orientaux. Mot qui on le verra plus loin a eu aussi un emploi historique précis.

La formation de « l’Etat kiévien » et son apogée :

On considère généralement que celui-ci commence avec Oleg (vers 879-912), qui, parti de Novgorod, conquit Kiev dont il fit le centre de la Rous’ auquel furent rattachées les tribus slaves voisines. « Dans cet Etat tout le pouvoir était aux mains du prince, qui s’appuyait sur sa droujyna (truste) » (Joukovsky). Celle-ci était alors composée uniquement de Varègues, avant de s’ouvrir aux autochtones sous les règnes suivants.

Le lecteur avide de détails sur l’histoire de l’Ukraine pourra se reporter aux ouvrages cités, alors que nous allons continuer directement par un souverain dont le règne a été déterminant : Vladimir Ier dit « le Grand » (980-1015). Après avoir pris le pouvoir dans des conditions peu « démocratiques » avec l’aide d’une armée de mercenaires varègues, il commence sa carrière par des guerres victorieuses contre ses voisins. Puis, comme d’autres souverains européens restés païens jusque là, il va se convertir avec son peuple au christianisme. La Chronique parle d’étude comparative des diverses religions monothéistes avant décision en faveur de l’orthodoxie en 988. A côté de cette version « hagiographique » (d’ailleurs ce prince deviendra « Saint Vladimir ») il y en aurait une plus pratique : la religion orthodoxe était déjà présente dans les terres sur lesquelles il régnait (la régente Olga elle-même aurait été baptisée) et cette conversion lui apportait l’appui de l’empereur d’Orient (avec la légitimité donnée par l’obtention de la main d’une princesse byzantine) et faisait entrer la principauté kiévienne  dans le concert des royaumes chrétiens – ce qui à l’époque était synonyme de « nations civilisées ».

La Ruthénie chrétienne, dont l’église était subordonnée au patriarche de Constantinople, devenait ainsi un véritable état, battant monnaie, et se dotant d’une culture inspirée de modèle byzantin.

Le règne de Iaroslav Ier dit « le Sage » (1019-1054) fera figure d’âge d’or ou d’apogée de la « période princière » de la Ruthénie kiévienne. Il fut marqué par une expansion territoriale tant vers le nord que vers le sud. Les nomades Petchenègues qui avaient pénétré à Kiev y furent écrasés en 1036, puis la ville puissamment fortifiée et dotée de monuments magnifiques, dont la cathédrale Sainte-Sophie érigée sur le lieu de la victoire. La période correspondit à une floraison culturelle dans tous les domaines, et en particulier vit le début de la rédaction de la Chronique des années écoulées. Le prince kiévien conclut plusieurs alliances concrétisées par des unions matrimoniales, en particulier avec la Norvège, et la Suède dont il épousa la fille du roi. En outre il fit de la principauté un « état de droit » en la dotant d’un recueil de lois,  la Rouska  Pravda. L’on peut dire que la Ruthénie est devenue véritablement un « Etat slave » avec Iaroslav, car c’est avec son règne  que les autochtones deviennent majoritaires dans la « classe dirigeante » (mais les Varègues y conservent un rôle militaire).

La fin de la période princière :

Le début du XIIe siècle a été marqué par des guerres pas toujours victorieuses, et des troubles d’origine économique à Kiev qui eurent pour conséquence le pillage des demeures des riches et des boyards (11), le peuple s’en prenant également aux Juifs. Aussi à la mort du prince régnant (1113) le trône fut-il offert à Vladimir II Monomaque (« Qui aime se battre en combat singulier »), chef de guerre très populaire qui s’était illustré dans les combats contre les Polovtses (12) qu’il refoulera jusqu’au Caucase. Lui aussi restera tourné vers le Nord, se mariant avec la fille du roi des Anglo-Saxons, son fils épousant une princesse suédoise, et ses filles trouvant époux en Norvège et au Danemark. Le grand-prince aura également d’excellentes relations avec Byzance. Son fils et successeur héritera des principautés de Kiev, Smolensk et Novgorod et maria ses filles aux rois de Hongrie, Danemark et Norvège.

Mais après celui-ci l’Etat kiévien commence à se disloquer : ainsi Novgorod devient une république marchande et la Volhynie comme la Galicie se détachent aussi de Kiev.

C’est aussi l’époque où apparaît le nom slave d’ « Ukraine » (Oukraïna), signifiant originellement « lisière », « marche », etc., mais dont le sens a évolué au fil du temps.

Au début du XIIIe siècle les Tatars (appelés jadis « Tartares »), hordes turco-mongoles, envahissent les steppes que baigne la mer Noire en 1222 (c.f. note 12) puis reviennent détruire Kiev en 1240 et dévastent la Volhynie et la Galicie. Ils seront arrêtés le 9 avril 1241 à Liegnitz par les Polonais et l’Ordre teutonique (13) et se replieront vers la Volga, d’où sous le nom de Horde d’Or ils imposeront un tribut aux Ukrainiens dont les princes devront reconnaître leur vassalité.

L’on est alors dans une période de confusion, où le prince Danylo Romanovytch (1238-1264) va à la fois battre les Teutoniques et les Hongrois, lutter contre les Polonais et les Lituaniens, et reconnaître la suzeraineté de la Horde d’Or tout en préparant la reconquête, affermissant son pouvoir intérieur, et créant la ville de Lvov.

Il a été plus heureux dans ses opérations militaires contre les autres princes chrétiens que contre les Tatars, dont sa principauté restera tributaire, mais sera classé parmi les « dirigeants illustres de l’Ukraine » (Joukovsky).

L’un de ses successeurs, Youri Ier (1301-1315), prendra même le titre éphémère (et illusoire) de « roi de la Rous’ » qu’il fera figurer sur son sceau.

Choisi par le conseil des boyards après la mort au combat de ses oncles face aux Tatars, Youri II Boleslav (1323-1340) épouse la fille du grand-duc de Lituanie, et s’allie à celui-ci et aux Teutoniques, mécontentant ainsi Polonais et Hongrois. Il facilita l’installation de colons allemands et accorda le « droit de Magdebourg » à certaines villes (14). Cette politique d’ « ouverture aux autres » suscita la colère des boyards qui l’empoisonnèrent. Il fut selon Joukovsky le « dernier prince Rous’ (ukrainien) » : la Galicie et la Volhynie seront désormais un enjeu, pour ne pas dire une proie, pour leurs voisins.

La Rous’/Ruthénie soumise (1340-1648) :

Pour les historiens ukrainiens, qui comme Joukovsky affirment qu’ « A une certaine époque la Rous’ kiévienne fut l’Etat le plus puissant d’Europe », « L’Etat de Vladimir-Moscou n’est ni l’héritier ni le successeur de l’Etat de Kiev ; il a connu une évolution propre » (le nom de Vladimir désigne ici la ville, pas le prince présenté plus haut). Ce serait  la période « lituano-ruthène » qui aurait, si l’on ose dire, tenu le flambeau ukrainien. Ce qui comme nous allons le voir peut se discuter.

En effet, la Lituanie, aujourd’hui très petit pays européen qui a depuis peu retrouvé son indépendance, était alors un vaste état s’étendant de la Baltique à la mer Noire, dont le grand-duc prend Kiev en 1362.

Casimir III, roi de Pologne – allié aux Tatars – s’empare-lui de Lvov et de la Galicie (1349). Celle-ci restera polonaise jusqu’au premier partage de ce royaume en 1772 ! La Bukovine, qui lui avait été rattachée, reviendra à la principauté de Moldavie après la chute de celle de Galicie-Volhynie, et le restera jusqu’en 1774 lorsqu’elle devint autrichienne.

 Quant à la Transcarpatie ou « Ukraine subcarpatique », elle avait dès la mort de Vladimir Ier (1015) été annexée par le royaume de Hongrie, et sauf une brève période restera attachée à celle-ci jusqu’en …1918.

Et dans le sud de l’Ukraine, le khanat de Crimée, qui s’était  détaché de la Horde d’Or pour devenir vassal  de la Turquie (1475), ravageait Kiev en 1482… à l’instigation du grand-prince moscovite. Les incursions Tatars devenant alors répétitives.

C’est l’époque qui vit la montée en puissance de l’état russe, d’abord centré sur Novgorod au temps du célèbre Alexandre « Nevski » (1220-1263), vainqueur des Suédois, Lituaniens et Ordres religieux-militaires germaniques, mais, ce qui est moins connu, accepta la suzeraineté  de la Horde d’Or et paya tribut aux Tatars. A son sujet le Grand Larousse encyclopédique conclut : « Grande figure morale du Moyen Age russe, il fut canonisé par l’Eglise orthodoxe ». Moscou faisait déjà partie de son domaine, et va devenir le cœur de l’état russe qui portera le nom de « Moscovie » du XVe au XVIIe siècle. Celui-ci se développera sous la menace mongole et aux dépens de la Lituanie, tout en étant aussi en conflit avec la Pologne et la Suède : nous y reviendrons.

Cette période fut aussi marquée par des alliances improbables sans cesse remises en cause : le grand-duc de Lituanie devenant roi de Pologne (1506-1572), lutte contre la Moscovie, les princes ukrainiens (et « biélorusses ») s’alliant avec celle-ci pour se rebeller contre les précédents (1508)…

Ce qui, outre la menace tatare permanente, amène la Lituanie et la Pologne à chercher une coopération plus étroite et non plus seulement dynastique, dont il sera débattu à la Diète de Lublin qui aboutira à l’union de 1569 : formation d’un état unique d’environ 850 000 km2 sur lequel règne un seul monarque, la Rzecz Pospolita (« République des deux nations ») (15). La conséquence étant que la majorité des territoires ukrainiens, dont la région de Kiev, passent sous l’autorité de la Pologne, s’ajoutant ainsi à la Galicie déjà incorporée (c.f . supra). Ceci correspondant à l’instauration d’un régime de type féodal, c’est-à-dire selon la terminologie actuelle soumis au « principe de subsidiarité » où la noblesse ukrainienne (magnats) avait des droits similaires à la polonaise, avec pour conséquence que la paysannerie se trouva progressivement réduite à un servage de fait. Une autre conséquence sera la « polonisation » culturelle de l’élite (religion, langue, etc.)

Un événement majeur, et dont les conséquences se font toujours sentir de nos jours, est que l’Eglise romaine, à défaut de pouvoir carrément ramener les orthodoxes au catholicisme en contrant l’influence moscovite, va « débaucher » une partie de son clergé, dont plusieurs évêques : ainsi sera proclamée l’union de l’Eglise orthodoxe avec l’Eglise romaine au concile de Brest (Litovsk) de 1596. Des particularismes seront conservés, tel le mariage des prêtres, sans pour autant rallier l’ensemble du clergé et des fidèles. Cette église, toujours active, est connue sous le nom d’ « uniate » ou « gréco-orthodoxe ».

La naissance des Cosaques et leur « Etat » (1648-1659) :

Ceux-ci ont pris figure de mythe, en particulier en Europe occidentale, où ceux fuyant la Révolution bolchevique puis la traque aux vaincus de 1945 se sont distingués par des démonstrations équestres spectaculaires. Ils sont bien plus que cela, et ce mouvement original mérite une étude plus historique.  Signalons au passage qu’à l’origine les Cosaques étaient d’abord des fantassins et qu’ils se sont aussi illustrés dans des opérations maritimes contre les Turcs, les « Cosaques montés » étant plutôt alors une exception.

Le mot viendrait du turc (qazaq) où il signifie « dissident », et par extension « homme libre ». « Il ne s’agit donc pas d’un nom ethnique, mais de la désignation d’un mode de vie » (Lebedinsky) (16). Les Cosaques font leur apparition, sporadique, dès la fin du XVe siècle. Ils se seraient composés à l’origine de nomades se mettant au service d’états sédentaires de la steppe, ainsi que de paysans fuyant le servage en cours d’instauration. Ce sont des sortes de communautés guerrières de type « démocratique », élisant leurs chefs, les hetmans, mais susceptibles de les déposer et à vrai dire plus ou moins « incommandables ». Prenant leurs distances d’avec les états organisés ils vont se comporter en pionniers, peuplant les steppes méridionales, et en refoulant les Tatars ainsi que les Turcs. Ils se signalent aussi comme les défenseurs intransigeants de la religion orthodoxe.

Leur présence permanente sur le cours inférieur de Dniepr est signalée en 1568, et en 1585 sont cités pour la première fois les « Cosaques de la Sitch ». Le mot, qui signifie « abattis d’arbres », désigne leur camp retranché situé dans une île et dont les fortifications étaient probablement à l’origine en bois. Hypothèse confirmée par le fait qu’il changea plusieurs fois d’emplacement. C’est autour de ce camp que se constitua la communauté des « Zaporogues », c’est-à-dire étymologiquement les Cosaques établis « au-delà des rapides » (du Dniepr). Mais ce nom, devenu mythique, sera appliqué abusivement à l’ensemble des Cosaques ukrainiens. Signalons que ce n’était pas une exclusivité ukrainienne, car d’autres territoires steppiques correspondant aux bassins des fleuves russes (Don, Kouban) eurent aussi leurs « Cosaques ». Leur renommé s’étendra au loin, ainsi Rodolphe II, le fantasque « Empereur alchimiste » qui avait établi sa capitale à Prague, leur proposera en 1594 une alliance contre les Turcs, et le pape Clément VIII l’imitera.

Alliés militaires à la fois précieux, voire indispensables contre les nomades turcophones, mais aussi encombrants, ils seront l’objet de tentatives de « récupération » par les états sédentaires sous le nom de « Cosaques enregistrés » : les grands-ducs de Lituanie et les rois de Pologne établirent un « registre » sur lequel figuraient ceux qui acceptaient un minimum de discipline en échange d’une solde et de certaines exemptions.

Nous n’entrerons pas dans la description des relations confuses et généralement houleuses des Cosaques avec leurs voisins, signalant seulement au passage qu’aussi étrange que cela puisse paraître ce sont à plusieurs reprises les Polonais qui ont essayé de calmer leurs ardeurs guerrières dont les Turcs faisaient les frais, ceci afin de préserver de fragiles traités…

Venons-en directement à l’année décisive de 1648, qui vit le grand soulèvement anti-polonais de ces turbulents alliés (et qui faisait suite à d’autres plus limités).

La cause immédiate est d’ordre privé et peut paraître futile, mais manifestement il ne s’agissait que du détonateur ayant « mis le feu aux poudres » de ressentiments d’origine religieuse, sociale et « nationale » accumulés chez des gens rebelles par nature à toute autorité imposée de l’extérieur : Bohdan Khmelnytsky, officier cosaque « enregistré », se vit infliger un affront majeur de la part d’un fonctionnaire polonais, qui, non content d’enlever sa maîtresse, ravagea son domaine et tua un de ses fils. Or les Cosaques, et plus particulièrement leurs chefs,  avaient l’honneur chatouilleux. Et non seulement Khmelnytsky n’obtint pas réparation de la justice polonaise, mais il fut même brièvement emprisonné. Aussi il se rendit sur le territoire des Zaporoges, chassa la garnison « régulière » de la Sitch, et se fit proclamer hetman. Il présenta habilement sa révolte dirigée non contre le roi, mais contre les abus de la noblesse polonaise qui avait empêché celui-ci deux ans auparavant d’accorder différents privilèges aux Cosaques. Et il s’allia aux Tatars de Crimée qui allaient lui fournir la cavalerie dont il manquait (rappelons qu’alors les Cosaques étaient d’abord fantassins et marins).

C’est ainsi que Bohdan deviendra de par les circonstances un « héros national ».

Les campagnes militaires furent d’abord victorieuses, et appuyées par le soulèvement des paysans dans une large partie de l’Ukraine. Le clergé uniate, et surtout les Juifs, en firent largement les frais, la position d’ « intermédiaires » privilégiés de ces derniers dans le système polonais – outre l’antijudaïsme religieux –  les ayant fait détester de la population.

 Les Cosaques étaient même sur le point d’anéantir l’armée polonaise en 1649 à Zboriv si ce n’eut été la défection de leurs alliés tatars. Un traité fut donc conclu sur place. Les Cosaques obtenaient par celui-ci un statut d’exception que l’on pourrait qualifier d’ « autonomie interne », outre l’amnistie pour les insurgés et l’expulsion des Juifs (et des Jésuites).

Mais Khmelnytsky ne se satisfaisait pas de ce type de « protectorat » et entreprit d’organiser un véritable « état cosaque » à prétentions expansionnistes (Moldavie en 1650).

Donc la guerre reprit, cette fois nettement moins favorable aux Cosaques, de plus trahis par les Tatars de Crimée. L’Hetman eut alors l’idée fatale de se tourner vers la Moscovie « puissance orthodoxe, puissance slave revendiquant l’héritage de l’ancienne Ruthénie, faisant à tout prendre un allié plus présentable » (Lebedynsky). Ce qui ne l’empêchait pas simultanément de réclamer la protection du sultan ottoman.

Ceci impliquait pour le tsar Alexis Ier un conflit avec la Pologne, mais avec l’appui des Etats Généraux de Moscovie il se lança dans l’aventure, et en 1654 les Cosaques d’Ukraine ainsi que les villes autonomes jouissant du « Droit de Magdebourg » lui jurèrent fidélité. Mais cet accord reposait sur un quiproquo, en l’occurrence deux visions de l’état : les Cosaques ne se cherchaient qu’un « protecteur » lointain, les villes à éviter leur suzeraineté (certaines traiteront directement avec Moscou), et le représentant du tsar refusa de jurer au nom de ce dernier de respecter les libertés de ses nouveaux « sujets » : en tant qu’ « autocrate » il ne pouvait se lier envers eux par serment.

Un compromis fut finalement trouvé la même année 1654 dit « Traité de Péréïaslav » : les Cosaques jouiraient d’une large autonomie, ainsi seuls des Ukrainiens seraient nommés à des emplois publics en Ukraine, celle-ci pourrait établir des relations diplomatiques (sauf avec la Pologne et l’empire ottoman : prudence !), et le nombre des Cosaques « enregistrés » (et soldés par la Moscovie) serait élevé à 60 000, force militaire considérable pour l’époque.

 C’était – en théorie – un succès pour Bohdan Khmelnytsky qui obtenait de la Moscovie plus qu’il n’aurait pu de la Pologne. Les historiens russes le voient bien ainsi qui présentent la chose comme une « libération » des frères slaves et orthodoxes de l’oppression des Polonais catholiques. Pour leurs confrères ukrainiens (et polonais…)  il s’agit d’une catastrophe faisant échanger une tutelle finalement pas trop pesante et surtout émanant d’un pays « éclairé » (autrement dit : occidentalisé) contre la sujétion à un monarque absolu – pour ne pas dire un tyran oriental.

 Ce qui se traduisit dans le vocabulaire : la Moscovie (on ne parlait pas encore de « Russie ») étant la « Grande Ruthénie », le territoire de ce qui n’était pas encore appelé Ukraine (17) devint la « Petite Ruthénie ». Ultérieurement on utilisera les appellations de « Grands russiens », « Petits russiens » (et « Blancs russiens » pour les Biélorusses).

Toujours est-il qu’en 1954 l’Union soviétique fêta le « tricentenaire » en grande pompe et en cette occasion « offrit » la Crimée à la RSS d’Ukraine. Ceci ne lui coûtait guère vu l’autonomie toute virtuelle des Républiques Socialistes Soviétiques, mais aura des conséquences lourdes pour l’actualité récente.

Bohdan n’avait pas fini de se chercher des alliés : on sait qu’il négociait parallèlement avec la Porte, mais en 1655 il va se tourner vers la Suède dont le roi Charles X entre en conflit avec la Pologne et la Moscovie. Et contre ces deux derniers états Khmelnytsky va tenter aussi de recruter les principautés de Moldavie, Valachie et Transylvanie ! Sa mort en 1657 mit fin aux tractations.

Ce « petit jeu » reprit avec ses successeurs, aggravé par les conflits internes : l’un ne trouva rien de mieux que de chercher l’appui de la Pologne, le pays devenant la « grande-principauté de Ruthénie » et formant avec celle-là et la Lituanie le troisième volet de la Rzeczpospolita ! Seulement le signataire de ce traité, qui avait précédemment évincé Youri, le fils de Bohdan, n’était guère populaire, et la haine des Polonais faisant figure d’ « ennemi héréditaire » trop forte, outre que Moscou tenta de « reconquérir » le pays. D’abord victorieux avec l’aide des Tatars, ceux-ci devant faire-face à une attaque des Zaporogues l’ « usurpateur » se trouva remplacé comme hetman par Youri Khmelnytsky appuyé par une partie des Cosaques « enregistrés » et ceux de la Sitch. Et Youri signa en 1659 un nouveau traité avec Moscou. Mais moins avantageux que celui obtenu par son père…

« La Ruine » :

Ce nom évocateur a été attribué par les historiens ukrainiens à la période suivante.

Les Polonais ayant obtenu quelques succès militaires, Youri Kmelnytsky trouva opportun un nouveau renversement d’alliance en 1660… mais il ne fut pas suivi par les Cosaques de la rive gauche du Dniepr. L’on se trouva ainsi avec deux entités cosaques séparées par le fleuve, l’une d’obédience polonaise, l’autre moscovite, et avec chacune leur hetman. Lesquels furent en 1663 renversés par leurs troupes respectives qui éliront deux remplaçants, qui n’eurent rien de plus pressés que de faire assassiner leurs prédécesseurs.

Les territoires constituant la future Ukraine se trouvèrent de nouveau au centre d’un imbroglio : « l’hetman de la rive gauche » se comporta en fidèle allié de Moscou, ce qui lui valut d’être anobli par le tsar et la main d’une princesse. « L’hetman de la rive droite » fut à son tour renversé et son successeur tenta de s’émanciper de la tutelle polonaise… en demandant la protection de l’empire ottoman qui la lui accorda en 1666. De  nouveau  allié des Tatars il battit les Polonais, ce qui eut pour conséquence que ceux-ci se rapprochèrent de la Moscovie avec laquelle ils se partagèrent l’Ukraine par le traité d’Androussovo (1667) ! La frontière se trouvant sur le Dniepr, ce qui à la coupure géographique ajoutait une fracture politique dont les effets n’avaient pas fini de se faire sentir.

Nous épargnerons au lecteur le détail des situations confuses qui allaient suivre, avec changement d’hetmans répétitifs. La conséquence étant que les territoires ukrainiens se trouvaient disputés entre trois puissances extérieures ayant chacune leurs partisans. Rappelons seulement à titre d’exemple que les Ottomans allèrent rechercher Youri  Khmelnytsky dont ils firent un « prince de Sarmatie » pour ensuite le déposer et l’exécuter en 1685 ! Ils jouèrent une dernière carte en confiant la rive droite, dépeuplée par les guerres, à leur vassal Georges Duca, prince de Moldavie, qui était à leurs côtés lors du siège de Vienne de 1683. Mais face à eux se trouvait justement le sauveur de la ville, Jean III Sobieski, qui avait été élu roi de Pologne et les battit de nouveau. Cette fois ce fut lui qui nomma l’hetman de la rive droite tandis que les Moscovites désignaient le leur pour la rive gauche.

En 1686 les deux parties concluaient un nouveau traité d’alliance, confirmant le précédent et réglant le sort de Kiev et de la Sitch, attribuées au tsar.

L’ « hetman de la rive gauche » fut de nouveau déposé, et Moscou fit élire par l’assemblé cosaque Ivan Mazepa (1687), qui s’efforça de renforcer son propre pouvoir grâce à ses excellentes relations avec le tsar Pierre Ier (18) qui de plus fit de lui « un des hommes les plus riches d’Europe » (Joukovsky). Mais le nouvel hetman, surtout connu du public occidental comme un personnage romanesque (19), allait avoir un comportement fluctuant : il demeura fidèle au tsar jusqu’à ce que les historiens ukrainiens qualifient de « Grande guerre du Nord », et lorsqu’en 1708 les troupes de Charles XII de Suède marchèrent sur l’Ukraine, l’hetman se rallia à lui. Ce qui fut loin de faire l’unanimité dans les rangs de ses « sujets ». Et l’année suivante il allait être écrasé en compagnie de son nouvel allié par l’ancien  à Poltava (28 juin 1709), ce qui l’amena à se réfugier… en Turquie, où il mourut. Il fait généralement figure de « héros national » chez les Ukrainiens (et de « traître » chez les Russes).

La réaction moscovite à la défection de Mazepa ayant été pour le moins brutale aux dépens des populations, ses fidèles ainsi que les Cosaques de la Sitch (détruite par les Russes) se placèrent sous la protection du Sultan et du khan de Crimée, et après sa mort choisirent un de ses proches comme nouvel hetman, Philippe Orlyk. Simultanément ils promulguèrent les Pactes et constitutions des lois et libertés de l’armée Zaporogue (ce terme, bien que restrictif, prétendant ici représenter l’ensemble des Cosaques), ceci en 1710. Malgré sa forte valeur symbolique, ce texte publié en exil restera virtuel, et les efforts constants pour obtenir une intervention ottomane et européenne (déjà !) en faveur de l’Ukraine, vains. Ceci bien qu’Orlyk vécut jusqu’en 1742 et que son fils ait pris sa suite.

Sur le plan pratique, la Russie s’employa à contrôler plus étroitement la rive gauche du Dniepr, et les Cosaques devenus suspects, furent, suprême humiliation pour ces hommes au tempérament « libertaire », employés de force aux grands travaux du règne de Pierre Ier, qui se trouvait désormais à la tête de ce qui depuis 1722 était officiellement l’ « empire de Russie ». Ceci « par dizaines de milliers, avec une mortalité d’environ 30% » (déjà), selon l’historien ukrainien I. Lebedynsky.

La situation des Cosaques n’allait pas s’améliorer avec le règne de Catherine II (1762-1796). La « Grande Catherine », chérie des philosophes  français qui aimaient les « despotes » pourvus qu’ils soient « éclairés », mais moins des historiens ukrainiens, pratiquant une politique de « normalisation » de l’empire dont elle avait hérité, considérait l’Hetmanat comme une anomalie – et un risque potentiel. Elle agit en conséquence, supprimant en 1764 la charge d’hetman et créant un « Collège petit-russien », certes paritaire, mais présidé par un Russe. Après la victoire sur les Ottomans et le protectorat russe sur la Crimée, la Sitch, ancien rempart face aux nomades devenu inutile, fut supprimée (1775). Et en 1783 le khanat de Crimée de même, celle-ci tout simplement annexée à l’Empire.

Tandis que le sort de la rive orientale du Dniepr se réglait, sur sa rive occidentale polonaise une ultime révolte cosaque se produisait, dite des Haïdamaks (1768) (20). Initialement encouragée par les Russes et marquée par des massacres de nobles et de Juifs, elle fut ensuite le prétexte à une intervention prusso-russe en vue d’éviter la guerre avec la Pologne.

Laquelle n’était d’ailleurs qu’en sursis : la Rzeczpospolita polono-lithuanienne, affaiblie par des conflits internes, se trouva partagée entre Russie, Prusse et Saint-Empire en trois phases : 1772, 1793 et 1795. A cette dernière date, le roi Stanislas, beau-père de Louis XV, dut abdiquer. Les conséquences pour l’Ukraine « rive droite », jusque-là polonaise, étant d’être déchirée entre l’empire russe (Volhynie) et les possessions autrichiennes (Galicie), configuration qui allait perdurer jusqu’à la Première Guerre mondiale et aux révolutions de 1917-1918.

L’Ukraine « figée » durant plus d’un siècle :

Il serait plus juste de dire « les » Ukraines, car elles vont vivre alors chacune de leur côté sans grands bouleversements.

La partie située à l’Est du Dniepr, divisée en provinces, ne connaît officiellement que des « Petits-Russiens », mais les Cosaques y jouissent d’un régime privilégié. Cette région sera le centre intellectuel ukrainien au XIXe siècle, au milieu duquel paraîtra une Histoire des Ruthènes, œuvre patriotique plus que scientifique, qui fera date. Dans la partie de la rive ouest annexée à la Russie en 1793-95 l’influence polonaise continue à rester prépondérante. Le Sud steppique conquis sur les Ottomans est en quelque sorte une terre de pionniers, dépourvue de centre urbains mais en voie de devenir un « grenier à blé ».

L’invasion française de 1812 ne touchera pas directement ces territoires, lesquels fourniront le temps de la guerre quinze régiments de « Cosaques montés petit-russiens » pour la défense de l’Empire. Dans son ouvrage de référence, I. Lebedynsky exécute au passage le mythe d’un projet d’Ukraine indépendante, constituée de deux « Napoléonides » sous protectorat, qui  « se résume aux élucubrations d’un fonctionnaire français ».

Anticipons en signalant que la guerre de Crimée menée en 1853-1856 par les anglo-italo-français (le second Napoléon étant empereur), venus secourir les Ottomans contre les Russes, n’aura guère d’impact sur l’Ukraine.

A la mort du tsar Alexandre Ier, une tentative de coup d’état militaire en décembre 1825 (les « décembristes ») amena son successeur Nicolas Ier à adopter une politique de rigueur dont la « Petite-Russie » fit indirectement les frais : son gouvernement-général fut supprimé, ainsi que le « Droit de Magdebourg » dont jouissaient certaines villes (1831) et l’exercice du culte gréco-catholique  dans l’ex-zone polonaise (1839). Cette politique répressive provoqua en réaction la naissance d’un mouvement patriotique ukrainien et l’apparition de sociétés secrètes, telle la « Confrérie Cyrille et Méthode » (21). Ceci concernait principalement les « intellectuels », mais les milieux paysans conservaient de leur côté des « nostalgies cosaques ».

Dans la pratique l’Ukraine « russe » fut systématiquement considérée comme suspecte de tendances séparatistes et tenue sous haute surveillance. Le pouvoir moscovite ayant compris que le combat culturel était le prélude au combat politique agit en conséquence, ainsi une circulaire de 1863 interdisant l’édition de livres précisait : « Il n’y a jamais eu, il n’y a pas et il ne peut y avoir aucune langue ukrainienne. » En revanche la révolution de 1905 eut pour conséquence une éclaircie : l’ukrainien fut reconnu comme langue distincte, ce qui entraîna un renouveau culturel, et à la Douma 40 députés purent en 1906 réclamer l’autonomie pour l’Ukraine !

Il faut par ailleurs mentionner le développement économique dont profita le pays, plus encore que le reste de l’Empire, sous les tsars Alexandre III (1881-1894) et Nicolas II (1881-1917). C’est alors que la région de Donets  et de Krivoï-Rog devint un grand bassin industriel.

A la veille de la Guerre mondiale l’Ukraine russe de présentait comme un pays à la fois urbanisé et analphabète, familier des pogroms comme la Russie, l’antijudaïsme y étant pour Lebedinsky « en rapport avec les effectifs considérables de la population juive » (environ 2 millions dont 27% de la population urbaine) ; « … ils se tournèrent en grand nombre vers les partis révolutionnaires » ajoute le même auteur, et en particulier l’assassinat d’Alexandre III déclencha de nouvelles violences à leur égard.

Et l’ « Ukraine habsbourgeoise » née des territoires perdus par la Pologne en 1772 ?

Ce qui était encore alors le Saint-Empire obtint, comme dit plus haut, la Galicie, où ici c’était la rivière San qui faisait le partage : l’ouest étant à majorité polonais ainsi que l’ensemble des villes. Ce qui fut nommé « Royaume de Galicie et Lodomérie » ayant sa capitale à Lvov.

Autre territoire binational, mais cette fois avec des Roumains, la Bukovine sera annexée en 1774, et après divers avatars érigée en duché.

Les habitants des territoires attachés à l’Autriche furent dans l’ensemble mieux traités que ceux qui l’ont été à la Russie. Ainsi en 1775-77 l’impératrice Marie-Thérèse prit la défense des serfs face aux propriétaires fonciers. Un séminaire ukrainien – ou plutôt « ruthène » selon la terminologie officielle – fut ouvert à Vienne et les écoles paroissiales enseignaient en ukrainien, du moins au niveau élémentaire. Le clergé uniate était favorisé dans la Galicie ukrainienne, et se trouvait au cœur d’un réveil culturel « national ». Ainsi lors du « Printemps des peuples » de 1848, alors que les Polonais de Galicie tentaient de rallier les « Ruthènes » à leur mouvement visant à la restauration de leur pays comme «état-nation », ceux-ci préférèrent arborer leurs propres symboles : le lion d‘or sur champ d’azur des anciens rois de Galicie-Volhynie celle-ci étant considérée comme premier état ukrainien. Et ils s’adressèrent directement à l’empereur Ferdinand. Au Congrès panslave de Vienne, une délégation mixte fut envoyée, Ukrainiens comme Polonais tenant à y conserver leur identité. Au parlement autrichien de 1848-49, 39 ukrainiens siégeaient parmi les 96 représentants de la Galicie. Sous le long règne de l’empereur François-Joseph le pouvoir central « reprit la main » mais sans brutalité et les acquis, en particulier culturels, furent conservés.

Après la défaite de Sadowa face à la Prusse l’empire des Habsbourg, tout en restant sous le même souverain, évolua en « double monarchie » (1867) comprenant l’Empire d’Autriche ou « Cisleithanie » et le Royaume de Hongrie ou « Transleithanie » (la rivière Leitha servant de limite). Avec pour conséquence que la Transcarpathie relevait désormais de la Hongrie.

La Galicie devint alors de refuge du mouvement ukrainien réprimé en Russie, avec pour conséquence de le revivifier sur place après qu’il eut été affaibli par le conflit entre « ukrainophiles » et « moscophiles ». Ces disputes ayant eu pour conséquence que le nombre des députés « ruthènes » était tombé en 1879 à deux à la Diète régionale…

Contrairement à la « Petite Russie » la Ruthénie était pauvre (pour des raisons géographiques) mais en revanche l’éducation y progressait de façon spectaculaire avec à la veille de la Grande Guerre 3 000 écoles ukrainiennes, et onze chaires de l’université de Lvov attribuées à des Ukrainiens.

En revanche ceux de Bukovine et de Transcarpathie « faisant partie du royaume de Hongrie ne bénéficiaient pas du libéralisme autrichien » (Lebedinsky).

Ce qui contribue à expliquer que lors du conflit de 1914-18 les Ukrainiens sous uniforme autrichien restèrent fidèles à l’Empire jusqu’à la fin.

La guerre et ses conséquences :

Environ 3 millions d’Ukrainiens combattirent dans les rangs de l’armée russe et 250 000 dans ceux de l’armée autrichienne, en outre la Galicie devint un champ de bataille.

Conscient de la différence de traitement dans les deux empires, les Ukrainiens constituèrent dés le début des hostilités un Conseil suprême  à Lvov. Une formation militaire ukrainienne composée de volontaires fut levée : les « Tirailleurs de la Sitch » – la référence historique est emblématique – et ce sont les autorités autrichiennes qui par prudence en limitèrent les effectifs à 2 500 hommes ! Cette force d’appoint ne put empêcher l’invasion de la Galicie par l’armée russe, et c’est à Vienne que dut se constituer en 1915 un « Conseil Général Ukrainien, comprenant des représentants de la Galicie (21), de la Bukovine (7) et de l’ « Union pour la Libération de l’Ukraine » (3). Objectifs : un état indépendant d’Ukraine centrale et l’autonomie interne pour les Ukrainiens de la Double monarchie (22).

Ceci dit, les Ukrainiens « autrichiens » soupçonnés de sympathies russes subirent une répression (exécutions, internements) au déclenchement de la guerre. Les autorités russes en occupation (« libération » de leur point de vue) en Galicie eurent un comportement semblable, avec en plus une traque à la culture ukrainienne, y compris dans son expression religieuse (le patriarche gréco-catholique sera arrêté et déporté). Les Ukrainiens des territoires auparavant russes n’étant guère mieux traités.

Le « troisième état ukrainien » (1917-1920) :

Cette numérotation est empruntée à l’historien A. Joukovsky qui fait de la période princière et de la période cosaque les deux premiers « états ukrainiens ». Une vision plus restrictive considérerait la « République Nationale Ukrainienne » (UNR) comme le premier état-nation ukrainien véritable avec des limites territoriales à peu près fixées.

Ce fut dans tous les cas une période brève et marquée par la confusion.

Sans entrer dans les détails, disons que profitant comme d’autres de l’abdication du tsar en mars 1917, ceux qui se présentèrent comme représentants les aspirations ukrainiennes (membres de partis, organisations sociales, culturelles, etc.) constituèrent un Conseil (Rada) Central Ukrainien. Enumérer les partis d’alors occuperait une demi-page, et nous passerons sur plusieurs organismes se voulant représentatifs pour citer le Comité Général Militaire Ukrainien à la tête duquel est élu un homme dont on reparlera : Simon Petlioura.

Face à la Rada Centrale ukrainienne se dressait le Gouvernement Provisoire national (russe) de Kerenski, tandis que dans les villes russifiées étaient constitués des Soviets d’ouvriers et de soldats. Ceux-ci resteront minoritaires et le Parti bolchevique aura un impact limité en Ukraine. En juin la Rada Centrale se dotait d’un Secrétariat Général, constituant de fait un gouvernement à majorité sociale-démocrate, qui bientôt fera une place aux minorités (deux Russes, deux Juifs et un Polonais) et qui trouvera un motus vivendi avec le Gouvernement Provisoire. Jusqu’à ce que celui-ci s’oppose à la convocation d’une Assemblée Constituante Ukrainienne par crainte du séparatisme.

C’est alors que ce gouvernement fut renversé par Lénine, le 7 octobre 1917 du calendrier julien (« Révolution d’octobre »). Coup d’état condamné par la Rada ukrainienne : ainsi à Kiev on assista à un affrontement « triangulaire » entre des unités bolcheviques, l’Etat-major de la Région militaire qui continuait à soutenir le Gouvernement provisoire, et un régiment ukrainien au service de la Rada…

Enfin, le 20 novembre 1917 la Rada Centrale proclame la République Nationale Ukrainienne (UNR) – qui ne comprend pas la Crimée. Mais ceci « sans rompre les liens fédéraux avec la Russie » est-il précisé. En décembre, l’élection des représentants à l’Assemblée Constituante Panrusse donnait à peine 10% des voix aux Bolcheviques en Ukraine. Et au Congrès Panukrainien des Conseils, réuni quelques jours plus tard, ils obtenaient 150 suffrages sur 2 500 délégués.

La France et l’Angleterre finissent par envoyer des représentants à Kiev en janvier 1918, tandis qu’après l’échec  d’un coup de force bolchevique Lénine et Trotski (Bronstein, dit) envoient un ultimatum au pouvoir ukrainien qui le rejette. La guerre entre eux est de fait ouverte, et en février les troupes de la « République des Soviets » prennent Kiev.

Mais « l’autre  guerre » n’était pas terminée, et la Rada ne voyait d’issue de secours qu’en concluant la paix avec les Puissances Centrales (Allemagne, Autriche-Hongrie, Bulgarie, Turquie) et en obtenant leur soutien.

Cette fois c’est son indépendance que va proclamer l’Ukraine par la voix de l’UNR et de son IVe Universal (manifeste : terme hérité de l’époque cosaque)du 22 janvier 1918. Ce sera aussi le dernier. Ainsi l’Ukraine signera, en tant qu’état indépendant, le Traité de Brest-Litovsk du 9 février 1918 (23). Et de suite  elle demande une aide militaire au gouvernement allemand, qui réagit immédiatement, et avec l’aide autrichienne libère le territoire ukrainien des troupes bolcheviques.

Mais pour les Allemands, en guerre contre l’Entente qui effectuait un blocus rigoureux, c’était « donnant-donnant » et, peu confiants dans les capacités de leurs nouveaux (et faibles) alliés de leur fournir entre autres les céréales demandées, ils entreprirent de s’en assurer militairement. Déjà les paysans pratiquaient une forme de résistance passive aux réquisitions et les choses s’envenimèrent, d’où crise. Et alors qu’un nouveau président de l’UNR était élu par la Rada le général Skoropadski  se faisait proclamer « hetman de l’Ukraine ».

Un nouvel Hetmanat…

Compte-tenu du conflit avec l’UNR, le commandement allemand était en effet entré en contact avec le général Skoropadski qui avait accepté ses conditions (dont une aide militaire rémunérée) et la dissolution de la Rada. Ceci fut concrétisé le 29 avril 1918, le nouvel hetman promulguant des « Lois sur l’organisation étatique provisoire de l’Ukraine » lui donnant une autorité à laquelle échappait seul le pouvoir judiciaire, et la dénomination « République Nationale Ukrainienne » étant remplacée par celle d’ « Etat Ukrainien ».

Ceci dans des conditions peu favorables, car, rappelons-le, la Guerre mondiale se poursuivait, les « alliés » allemands et austro-hongrois maintenant des troupes nombreuses sur le territoire du nouvel Etat Ukrainien, et qui n’étaient pas soumises à son autorité, c’était même plutôt l’inverse. Et, ce qui peut paraître paradoxal, la plupart des collaborateurs de l’Hetman étaient russes ! Tandis que de leur côté divers « Congrès » d’opposants au nouveau régime se réunissaient clandestinement.

Néanmoins l’hetmanat n’était pas un état-fantoche, au contraire reconnu sur le plan international, non seulement par les Puissances Centrales, mais par plusieurs pays neutres. Même le Conseil des commissaires du peuple de la Russie envoyait des délégués à Kiev pour y signer une paix préliminaire, reconnaissant l’Etat Ukrainien. Et une visite de l’hetman à Berlin améliora les relations avec les forces allemandes. Mais l’on était alors en septembre 1918, et les Soviétiques misaient sur la défaite des Empires centraux… Néanmoins le gouvernement de l’Hetmanat, dans le peu de temps qui lui a été accordé, mena une ambitieuse politique culturelle, et tenta de créer une Eglise orthodoxe autocéphale, mais qui, vu le rapport de forces, dut se contenter d’une semi-indépendante  vis-à-vis du Patriarcat de Moscou.

Devant tenir compte de son (ses) opposition(s) et de la victoire alliée, l’hetman annonça par une charte du 14 novembre 1918 la fédération avec la Russie…  lorsqu’elle cesserait d’être bolchevique, et nomma un nouveau gouvernement  avec des monarchistes russes. L’Union Nationale Ukrainienne, qui avait fini à être considérée comme principale force de l’opposition, ne put le tolérer et constitua un Directoire dont faisait partie Petlioura. Ceci aboutit à un affrontement militaire qui tourna au profit des contestataires auxquels se rallièrent les forces de l’Hetmanat. Le 19 décembre le Directoire s’installait à Kiev et rétablissait la République Nationale Ukrainienne.

La troisième phase de l’Etat ukrainien :

Le 26 décembre le Directoire nomme un gouvernement « multipartis » où le seul représentant des minorités est le Ministre des affaires juives. Les troupes des Puissances centrales à peine parties, c’était celles de l’Entente qui arrivaient par le sud, tandis que les bolcheviques descendaient du nord. Et en Galicie et Bukovine s’était créée une « République Nationale d’Ukraine Occidentale » (ZUNR) : nous y reviendrons plus loin.

Pour les Soviets, le nouveau pouvoir était « vendu aux capitalistes », tandis que, du fait de sa politique agraire en particulier, Polonais et Russes « blancs » le présentaient comme « bolchevique ».

Un « Congrès du Travail » réuni à Kiev, ratifia le 22 janvier 1919 l’union de l’UNR et de la ZNUR  avant de s’esquiver promptement devant la progression de l’Armée rouge. Outre celle-ci, l’Ukraine se trouvait alors encerclée par : un front polonais, la « Garde blanche » de Denikine- hostile car défendant  l’unité de la Russie –, les Roumains, et au sud un corps expéditionnaire franco-grec  (les Alliés aussi voulaient alors restaurer la « Grande Russie » et renverser les Bolcheviques).

Le Directoire se retrouvait ainsi dans la situation qu’avait connue l’Hetman, et après une tentative infructueuse d’accord avec les Soviets, sous l’impulsion de Petlioura le gouvernement se tourna vers l’Entente. Les représentants des partis, qui avaient obtenu si peu de résultats positifs, se retirent et Simon Petlioura, ayant lui-même quitté le sien, est nommé à la tête du Directoire. Et un nouveau gouvernement est formé.

Mais sollicitée, la France comme l’Allemagne auparavant s’immisce dans les affaires intérieures, exige un front commun « russe », et ne reconnait même pas l’état ukrainien. De plus, la qualité comme la quantité des unités militaires ukrainiennes laisse pour le moins à désirer et elles sont bousculées par celles des « Rouges », malgré le peu de soutien dont ceux-ci bénéficient dans le pays. En revanche elles chassent le corps expéditionnaire français d’Odessa en avril. D’où la création d’un « Comité de Défense de la République » qui réclame de rompre avec l’Entente pour se tourner vers les Soviets d’Ukraine, et l’on change encore de gouvernement. Le nouveau, dirigé par les Socialistes, prétend lutter contre les Bolcheviques sans aide extérieure. Ce qui dans un premier temps semble réussir : à la suite des exactions commises, ceux-ci se trouvèrent confrontés à 328 insurrections paysannes au printemps de 1919 ! La confusion règne, et nous passerons sur les tentatives de coups d’état et les accords/désaccords entre partis.

La décision de fera sur le plan militaire. Petlioura est devenu « otaman en chef » et commande à 85 000 « réguliers », plus des francs-tireurs, et reprend Kiev le 31 août ; tandis que, sans coordination avec lui, Denikine y arrive aussi. L’affrontement sera évité.

Alors l’UNR considère que les principaux ennemis sont les Russes, quelque soit leur couleur, et se trouve prêt à s’unir à la Pologne. Les Ukrainiens de Galicie eux redoutent celle-ci et veulent s’entendre avec Denikine. Et, dans un cas comme dans l’autre, avec l’espoir d’obtenir l’aide de l’Entente qui au contraire inflige à l’Ukraine un blocus rigoureux. Cette fois c’est contre la politique « latifundiste » de l’armée « blanche » de Denikine que des soulèvements ont lieu, appuyés par les anarchistes de Nestor Makhno qui entend  créer un territoire sous sa seule autorité et refuse le fait national ukrainien. En lutte contre tous, au moins successivement, il fit commettre de nombreuses tueries, en particulier de Mennonites, colons d’origine allemande, massacrés « avec une particulière cruauté » (Lebedynsky). S’étant finalement allié aux Bolcheviques, ce sont ceux-ci qui anéantirent ses unités tandis qu’il finira sa vie en exil à Paris.

Dans le même temps l’Armée Ukrainienne de Galicie (UHA) s’en prenait aussi à l’Armée blanche, sans succès, pour finalement accepter d’en rejoindre les rangs après avoir signé un armistice, refusé par certains. En novembre 1919, des membres du Directoire et du gouvernement partent pour l’étranger, en déléguant  les pouvoirs à Simon Petlioura et en lui laissant des forces armées encerclées par leurs adversaires. Celui-ci, avec l’accord de ce qui reste comme représentants du gouvernement et de l’armée, décide en décembre de passer à la guerre de partisans contre les Rouges et les Blancs.

Or le 7 novembre, les forces bolcheviques avaient lancé une nouvelle offensive contre Denikine et les troupes de l’UHA qui l’avaient rejoint, et elles parviendront à réoccuper Kiev en février 1920. Ce qui reste de l’UHA rejoint alors l’armée des Soviets sous le nom d’ « UHA rouge » ! En conclusion tout le territoire de l’UNR se trouve sous contrôle bolchevique, tandis que les Polonais occupent l’ouest de l’Ukraine où s’est réfugiée une partie de son gouvernement, Petlioura étant lui à Varsovie.

Le 22 avril est signé le Traité de Varsovie qui établit une frontière avec la Pologne, laquelle reconnaît « l’UNR indépendante sous la direction de Symon Petlioura, otaman en chef » (24). Ce qui en va pas sans pertes de territoires, d’où opposition du gouvernement en exil de la ZUNR (25).

Les forces polono-ukrainiennes se lancent alors conjointement dans une offensive en direction de Kiev où elles entrent le 7 mai. Mais l’armée soviétique commandée par Boudienny les « reconduit » jusqu’aux portes de Varsovie, où elle est arrêtée. Le 15 septembre les Polonais et Ukrainiens passent à la contre-offensive et le 12 octobre le gouvernement de Varsovie conclut un armistice avec les Bolcheviques. Se retrouvant seule face aux Rouges, l’armée de l’UNR doit se résigner à se faire interner en Pologne.

Seuls les partisans ukrainiens, renforcés par des volontaires ressortis de Pologne,  continuent à combattre et certains le feront jusqu’en 1924. Mais la lutte ouverte est terminée fin 1921. La Pologne de son côté avait signé le 18 mars le traité de paix de Riga, qui reconnaissait la République Socialiste d’Ukraine, la Russie laissant aux Polonais les territoires d’Ukraine occidentale.

Un « entre deux guerres » terrible pour l’Ukraine :

Le sort des territoires ukrainiens sera très divers en fonction des états auxquels ils ont été attribués par les traités de paix.

Les Polonais, qui veulent « dénationaliser » les Ukrainiens, vont séparer administrativement la Galicie des autres territoires considérés comme d’ethnie ukrainienne. En outre ils mènent sur le sol galicien « une politique de terreur » (dixit Joukovsky), non seulement policière mais culturelle (suppression des chaires ukrainiennes de l’université de Lvov). Les nationalistes de l’UVO (« Organisation Militaire Ukrainienne ») ripostent par le terrorisme. En revanche dans les régions du nord-ouest (Volhynie, Polésie, Podlachie), les Ukrainiens tentent la voie légale en prenant part aux élections à la Diète (1922) et leurs représentants y défendent leur identité. A partir de 1923 et de la suppression du gouvernement en exil de la ZNUR, l’on assiste à une stabilisation marquée par une nouvelle floraison de partis ukrainiens, dont la position va de « la collaboration avec les occupants » (Joukovsky) à des tendances pro-soviétiques chez les Communistes. Se crée alors l’ « Organisation des Nationalistes Ukrainiens » (OUN) qui a pour terrain d’action l’ensemble du territoire ukrainien et qui dans la zone sous autorité polonaise et à la suite de nouvelles mesures répressives de celle-ci reprend les actions terroristes (26). Parallèlement les partis participent aux élections de 1928 et forment une « Représentation Parlementaire Ukrainienne » à la Diète.

Le maréchal Pilsudski, « dictateur socialiste », étant arrivé au pouvoir en Pologne, une opération de « pacification » est menée en 1930 en représailles à des sabotages, et se traduit par une nouvelle répression visant en particulier les structures culturelles ukrainiennes. En 1934 un camp de concentration est ouvert à Bereza Kartuzka, essentiellement destiné aux Ukrainiens. Leur principal parti officiel tente une politique de « normalisation » vis-à-vis du gouvernement polonais : abandon du soutien à l’opposition contre cessation de la politique ukrainophobe (ce qui lui vaudra d’être sanctionné aux élections de 1935). Et les « milieux chauvins polonais » (Joukovsky) se convertissent à leur tour au terrorisme, particulièrement dirigé contre l’Eglise orthodoxe soutien de l’identité ukrainienne : 189 de ses églises seront détruites en 1938 et 149 attribués aux catholiques romains (ce qui donne une idée de la ferveur religieuse d’alors). L’OUN n’est bien sur pas en reste, et en 1939 son activisme séduit les jeunes générations. A la veille de la guerre elle fait figure de « seule force politique réelle d’Ukraine occidentale » (Joukovsky).

La Transcarpatie de trouve  jusqu’en 1928 sous tutelle tchécoslovaque avec un statut d’autonomie interne, sous le nom de « Ruthénie subcarpathique » (c.f . note 25). S’y opposent un camp populiste et les russophiles soutenus par les Tchèques, qui comptent parmi eux le gouverneur de la région administrative. Puis la Tchécoslovaquie est divisée en provinces, la Transcarpathie devenant celle de « Subcarpatie ». La représentation ukrainienne se renforce aux élections de 1935, mais ce n’est que grâce aux accords de Munich du 29 septembre 1938 que Prague accorde un gouvernement autonome, alors que les russophiles soutiennent le plan hongrois d’annexion. Et à l’issue de l’arbitrage de Vienne du 2 novembre le sud de la Transcarpathie est rattaché à la Hongrie, la capitale de l’ « Ukraine Carpatique » étant transférée à Khoust. Ce nom sera adopté dans la constitution de la république indépendante, proclamée le 15 mars 1939 malgré l’opposition de la Pologne et de la Hongrie : celle-ci l’envahit alors. Dans un combat inégal les forces ukrainiennes opposent une résistance désespérée tandis que Mgr Volozin lance un appel suppliant à Berlin qui refuse d’accorder son Protectorat (27).

La Bukovine, attribuée à la Roumanie, se distingua par son activité culturelle et politique, ce qui eut pour conséquence que c’est celle-ci qui subit la plus forte persécution. Les Ukrainiens y sont considérés comme des Roumains « ayant oublié leur langue maternelle », et leur presse est interdite. En outre l’état de siège est maintenu dans le pays jusqu’en 1928 ! En revanche un « Parti National Ukrainien » (UNP) y est créé, et perdurera jusqu’en 1940 comme seule représentation politique légale. Les Ukrainiens peuvent par ailleurs avoir des activités culturelles et sociales à travers diverses associations. Parallèlement se constitue une mouvance nationaliste, qui sera l’objet d’une répression aboutissant à l’interdiction de toute manifestation politique. Et en 1938 le pays devient sous le règne de Charles II (Carol) un état autoritaire – dont souffriront encore plus les nationalistes roumains.

Ce sont les Ukrainiens d’URSS dont le sort sera le moins enviable, et de loin.

Nous avons vu que jusqu’en 1922 les mouvements nationaux ukrainiens avaient lutté contre les Russes, quelques soit leur couleur politique. Cette période du « communisme de guerre » a été jalonnée par la proclamation à Kharkov d’une « République des Soviets » (1917) puis la constitution de la « République Socialiste Soviétique d’Ukraine » (1919) comme « Etat indépendant et souverain » qui en décembre contrôle l’ensemble de l’Ukraine centrale. En pratique l’appareil étatique est étranger au pays et dès 1920 un « Accord soviétique ouvriéro-paysan sur la coopération militaire et économique » est signé avec la RSFSR (Russie). La priorité est la lutte contre les « petliouristes », et la collectivisation avec pour conséquence la ruine de l’agriculture et une première famine qui provoque la mort d’un million et demi de paysans entre 1921 et 1923. Après la victoire militaire sur ses adversaires nationalistes russes et ukrainiens, et confronté à la catastrophe économique, Lénine desserre le carcan communiste  avec la « Nouvelle Politique Economique » (NEP) qui laisse une (petite) place à l’initiative privée et tolère même l’ «ukrainisation » de la culture et de l’enseignement ainsi que du personnel de l’Etat. Un brutal coup d’arrêt sera donné en 1929 par l’incarcération de personnalités accusées d’appartenir à de fantasmagoriques « Union pour la Libération de l’Ukraine » et « Union de la Jeunesse Ukrainienne », montage du GPU (ou Guépéou = police politique). D’où en 1930 procès et condamnations, qui plus tard aboutiront à des exécutions.

Ayant succédé à Lénine et éliminé ses adversaires, Joseph Staline renforce son pouvoir, décide de mettre un terme à la NEP, et lance le premier plan quinquennal  de « développement de l’économie de l’URSS » qui aboutit à une collectivisation forcée. Les résistants, y compris passifs, seront déportés.

Les premières victimes sont les koulaks (mot d’origine tartare signifiant « poing », soit paysans aisés). Cette « dékoulakisation », qui en fait touche toute la paysannerie, se traduit par l’envoi dans les campagnes de brigades chargées de confisquer les denrées alimentaires. Les représentants de Moscou (Molotov, Kaganovitch) en profitent pour accuser les dirigeants du PC(b)U (Parti Communiste d’Ukraine) d’être responsables des échecs de la collectivisation (1932). Les récalcitrants sont passibles de la peine de mort, au moins de la déportation. La conséquence est qu’avant la moisson de 1933 « une effroyable famine, sciemment organisée, (qui) provoque … la mort de 6 à 8 millions de personnes » (Joukovsky) (28). Les populations rurales seront les victimes de ce que d’aucuns qualifient de génocide et qui est désigné dans le pays sous le nom d’ Holodomor « meurtre par la faim ».

Après les corps, les esprits seront visés pendant une période allant de 1933 à 1939 que l’historien A. Joukovsky, déjà abondamment cité, qualifie d’ « offensive terroriste menée par les Bolcheviks contre la culture ukrainienne » et qui est connue comme « renaissance fusillée » : « l’ukrainisation » est officiellement stoppée en 1933 par décret et suivie d’une période de russification, concrétisée par l’élimination physique de toute une élite intellectuelle. Certains choisiront le suicide en signe de protestation. Le Parti lui-même est visé par les « purges », ainsi sur les 115 membres du Comité Central du PC(b)U de 1933 un seul est « réélu » en 1938… C’est alors que Nikita Kroutchev est nommé premier secrétaire du Parti, soit véritable proconsul en Ukraine.

L’année suivante était signé le pacte germano-soviétique avec ses clauses secrètes pour le partage de l’Europe orientale : les cartes allaient être rebattues.

Mais avant de traiter de cette période cruciale pour l’Ukraine il faut dire quelques mots sur son émigration de l’entre deux guerres.

Vu les circonstances, outre le gouvernement de l’Etat ukrainien, de nombreuses personnalités que nous n’avons pas la place de citer prirent le chemin de l’exil. Il y avait bien sur les représentants de nombreux partis politiques, les rédacteurs de diverses publications et même des monarchistes qui proclamèrent en 1925 un « hetman héréditaire ». Compte-tenu de son avenir, nous insisterons sur l’ « Organisation des Nationalistes Ukrainiens » (OUN) créée à Vienne en 1929 et dont le IIe Congrès tenu à Rome en 1939 (au mois d’août…) confirmera dans ses fonctions André Melnik, qui était à  sa tête depuis l’année précédente.

Implantée plus particulièrement dans l’ouest du pays – on comprend pourquoi – et s’étant fait connaître par ses actions révolutionnaires des années 30, elle devint dominante tant en Ukraine que parmi l’émigration.

De son côté de Gouvernement en Exil de l’UNR subsistait, migrant de Tarnow à Varsovie, puis à Paris, pour enfin échouer à Prague. Le premier président de son Directoire était Simon Petlioura, dont on connaît la fin tragique (c.f. note 24). Outre celui-ci, d’autres exilés furent la cible des agents du GPU, puis du NKVD qui lui succéda, qui se livrèrent à plusieurs assassinats ciblés.

L’Ukraine dans la tourmente mondiale (1939…) :

Le 1er septembre 1939 la Wehrmacht pénétrait en Pologne où les populations ukrainiennes la voyaient comme une armée de libération. Outre qu’elle était accompagnée d’un détachement militaire d’environs 600 hommes formé par l’OUN. Mais il sera dissous dès la fin du mois : le haut-commandement allemand, imbu de pangermanisme et peu porté aux actions de type révolutionnaire, ne jouera pas la « carte ukrainienne » mais reprendra plutôt son attitude du conflit précédent, se contentant de recruter des auxiliaires et d’exploiter le pays au profit de son effort de guerre. Le 22 juin 1941 les forces du IIIe Reich repartaient à l’offensive, cette fois contre les Soviétiques, et en 1942 avaient occupé grosso modo l’ensemble de l’Ukraine avant de se replier progressivement après la chute de Stalingrad, ce qui à l’aller comme au retour avait transformé le pays en champ de bataille, avec les destructions que l’on imagine.

Quelles furent les conséquences ?

Fin septembre 1939 un nouveau traité germano-soviétique fixait la frontière entre les contractants sur les rivières San et Bouh. Les Allemands organisèrent leur zone en « Gouvernement Général ». Celui-ci comprenait des territoires ethniques ukrainiens peuplés de plus de un million d’habitants, qui allaient être rejoints par ceux fuyant les territoires attribués aux Soviétiques. Une vie culturelle ukrainienne et un enseignement renaissent, et l’OUN créée à Cracovie une « Union Nationale Ukrainienne » (UNO) puis un « Comité Central Ukrainien ». Les autorités allemandes toléraient, éventuellement coopéraient, mais sans reconnaître (sauf le Comité Central dont l’activité principale consistait à s’occuper des prisonniers de guerre). Mais le colonel Melnik qui se trouvait à la tête de l’OUN ne faisait pas l’unanimité par sa politique, et en février 1940 Stefan Bandera créait une direction révolutionnaire, approuvée en mai 1941 par une assemblée se tenant à Cracovie. A partir de cette date les nationalistes ukrainiens s’opposeront entre « melnykistes » et « banderistes ».

L’offensive allemande de l’été 41 clarifiera les rapports entre Ukrainiens et Soviétiques : les premiers déserteront massivement de l’Armée rouge ou se rendront aux Allemands, tandis que les seconds, malgré un repli précipité, prendront le temps d’exécuter quelque 15 000 détenus politiques. Une partie de la population est évacuée de force vers l’Est tandis que le NKVD exécute certaines personnalités. De son côté l’OUN de Bandera avait formé deux unités, les bataillons Nachtigall et Rolland, qui combattront dans les rangs de l’armée allemande.

Mais, décevant les espoirs ukrainiens, les autorités du Reich se livreront à « une occupation à caractère colonial » avec un découpage administratif démembrant de pays, outre les parties accordées aux alliés roumains et hongrois. Si le 30 juin 1941 Bandera avait formé à Lvov un « Gouvernement de l’Etat Ukrainien », dès juillet les Allemands en interdisaient l’activité et opéraient des arrestations. Bandera lui-même, refusant d’annuler la déclaration d’indépendance, connaîtra le camp de concentration jusqu’en septembre 1944.

De son côté, l’OUN d’obédience Melnik créait en octobre 1941 à Kiev « libérée » par la Wehrmacht un « Conseil National Ukrainien » et les nationalistes y éditaient une revue indépendantiste. Les « melnykistes » ne seront pas mieux traités que les « banderistes » et le Conseil interdit fin 1941, outre des arrestations et même des exécutions en 1942.

Malgré les protestations ukrainiennes, la Galicie est incorporée en août 1941 au « Gouvernement Général » (ex-Pologne) et toute activité politique y est interdite et réprimée, en revanche celles de caractère économique, culturel  et d’enseignement sont tolérées sous la direction de l’UTsK qui a succédé à l’UKK (« Comité Régional Ukrainien »). Et en 1943 les Allemands autorisent la création d’une division « Galicie » composée d’Ukrainiens volontaires (29).

Le reste du territoire conquis par les forces allemandes constituera le Reichskommissariat Ukraine, entité de 340 000 km2 peuplée de 17 millions d’habitants ayant à sa tête Erich Koch. Bien que dépendant du ministre des Territoires Occupés de l’Est Alfred Rosenberg, un théoricien  du national-socialisme, il mena pour le malheur des Ukrainiens sa propre politique, qui prolongeait celle collectiviste des Soviets avec même le maintien des kolkhozes. Le territoire fut étroitement contrôlé, de même que la presse, mais les activités religieuses purent reprendre, avec, ce qui peut encore paraître paradoxal, une préférence pour l’Eglise Orthodoxe Autonome dépendant du patriarcat de Moscou. Les Juifs furent massivement massacrés tandis que près de deux millions d’Ukrainiens étaient envoyés en Allemagne comme travailleurs forcés (Ostarbeiter).

En réaction se constitua une « Armée Insurrectionnelle Ukrainienne » (UPA),  qui lutta à la fois contre les forces d’occupation allemandes et les partisans rouges. Et en 1943 l’OUN de Bandera (lui même alors interné) restructura ses forces militaires, qui renforcées par une partie de la police auxiliaire ukrainienne prendront aussi le sigle d’UPA et désarmeront les unités « concurrentes », en particulier celle de l’OUN de Melnik (qui se trouvait détenu dans le même camp que Bandera)… Tout en luttant contre les Allemands, ces troupes se replieront en Galicie devant la progression de l’Armée soviétique, qui à la fin de 1944 avait réoccupé l’ensemble de la RSS d’Ukraine.

Soulignons que devant la nécessité, l’internationalisme prolétarien ne semblant pas suffire à susciter le sacrifice, le gouvernement soviétique, de même qu’il avait ressuscité le patriotisme russe – et même l’Eglise Orthodoxe – créa un « ordre de Bohdan Khmelnytskyi » pour mobiliser les sentiments identitaires ukrainiens au service de la « Grande Guerre Patriotique ». Quant aux Allemands aux abois, fin 1944 ils feront sortir des camps les nationalistes détenus – dont Melnik et Bandera – et un « Comité National Ukrainien » sera même créé dans ce qui restait du Reich… le 17 mars 1945. Pour sauver la division « Galicie » des Soviétiques elle sera transférée sur le front Ouest et prendra le nom de 1ère Division Ukrainienne de l’Armée Nationale Ukrainienne (c.f. note 29).

Une après-guerre sans joie…

La situation se trouve simplifiée : quasiment tout le territoire ukrainien est soumis à l’occupation soviétique, les minorités ukrainiennes des pays voisins appelés « démocraties populaires » étant logées à même enseigne. A la suite du conflit il reste une trentaine de millions d’habitants en Ukraine. Il en manque une dizaine, surtout ukrainiens ethniques, morts en combattant ou « par faits de guerre », déportés dans les camps soviétiques, outre de très nombreux exilés ; Juifs massacrés ou émigrés, dont certains vers la Palestine ; il n’y a plus d’Allemands, les survivants ayant suivi le retrait des troupes du pays de leurs ancêtres. Il y a eu aussi des échanges de population avec la Pologne. En mai 1944 en Crimée, « le gouvernement soviétique a déporté en trois jours tout le peuple Tatar », accusé de collaboration avec l’occupant allemand (A. Arjakovsky, Russie/Ukraine : de la guerre à la paix ? 2014). La majorité ne reviendra pas.

L’Ukraine aura deux « consolations » : siéger à l’ONU (pour l’URSS c’était une voix de plus) et se voir attribuer la Crimée en 1954 (c.f. supra). Intérieurement le Parti est tout puissant, et sous le soupçon de nationalisme les purges reprennent en 1947 dans l’intelligentzia, sous la direction de Lazar Kaganovitch, alors premier secrétaire de PC(b)U. Inversement à la reconstruction de l’économie, la vie nationale ukrainienne, un peu ravivée à la fin de la guerre, souffre particulièrement.

Les tendances nationalistes sont guettées, et traquées impitoyablement au profit d’une manière de « russification ». Particulièrement en Ukraine occidentale, le prétexte de « collaboration » est commode ainsi que l’appartenance à l’OUN ou à l’UPA. Le clergé uniate est décapité, et un « pseudo-synode » (Joukovsky) annule l’union de l’église gréco-catholique avec Rome pour la soumettre à l’Eglise Orthodoxe Russe (1946).

L’UPA poursuit la résistance armée dans les Carpates, d’où elle lance des raids, mais est traquée par les unités militaires du NKVD. Sans appui et sans espoir de secours extérieur elle ne peut durer, et les dernières « bandes armées » sont mentionnées par les sources soviétiques en 1956 (30).

L’émigration, principalement basée en Allemagne et Autriche, s’efforce de continuer à exister : l’on retrouve « les deux OUN » et divers partis qui vont essayer de coordonner leur action à partir de 1948 grâce à une nouvelle UNRada.

Une accalmie dans la répression suit la mort de Staline en 1953 et un Ukrainien est même élu premier secrétaire du PC d’Ukraine. L’année suivante est commémoré le tricentenaire de la « réunification » par le traité de Péréiaslav entre l’hetman Khmelnytskyi et le tsar moscovite, et l’on célèbre « l’amitié des deux peuples ». Mais l’existence « autonome » de la RSS d’Ukraine a ses limites, et en 1955 elle n’est pas partie prenante dans le traité de paix avec l’Autriche. Ni à celui de Varsovie entre Etats socialistes d’Europe la même année.

Une autre forme de résistance se fait jour dès 1953 : les mouvements de protestation dans les camps de concentration où les Ukrainiens sont majoritaires. Après la répression de rigueur ils aboutiront à des libérations progressives.

En 1955 le samizdat (publication clandestine) apparait, outre une contestation prudente et légale, et on peut se permettre de promouvoir la culture ukrainienne. L’enseignement supérieur s’affranchit de la tutelle russe par la création d’un ministère, et une décentralisation industrielle est mise en place.

Mais peu après (1957) une campagne antireligieuse est lancée et se poursuit selon les méthodes de l’ « athéisme scientifique » : en 1961 environ la moitié des institutions religieuses ont disparu. Or celles-ci constituaient l’un des points d’ancrage de l’identité ukrainienne. Et la russification linguistique reprend.

En ce qui concerne l’émigration, l’OUN de Bandera connaît une scission en 1954, lui-même étant assassiné par le KGB en 1959. Il connaîtra une « mythification » posthume, d’ailleurs largement due aux autorités soviétiques et négative, jusqu’à nos jours (les « banderistes »). Le reste à l’avenant. Néanmoins un Congrès Mondial des Ukrainiens Libres (SKVU) est fondé en 1967 et l’année suivante une chaire d’histoire de l’Ukraine ouverte à l’université de Harvard.

L’identité ukrainienne subsiste malgré les répressions, et au fil du temps s’affirme, surtout sur le plan culturel, portée par des intellectuels et divers groupes souvent d’origine populaire. Dans les années 70 le samizdat se développe, en particulier le Messager Ukrainien, et la contestation se radicalise. Ce qui entraîne en 1972 une vague d’arrestations et une nouvelle purge à la tête du Parti. La russification, en particulier linguistique, s’accentue et le « nationalisme bourgeois ukrainien » est dénoncé.

Les détenus politiques ukrainiens – ainsi que d’autres nationalités d’URSS – s’activent, adressant même une requête au Soviet Suprême. Le 9 novembre 1976 se crée le « Groupe ukrainien pour la surveillance et l’application des Accords d’Helsinki » (passés entre URSS et pays occidentaux et prescrivant le respect de « Droits de l’Homme »). Ledit groupe sera l’objet de persécutions, ce qui ne l’empêche pas de diffuser un Bulletin d’Information.

La répression du mouvement national ukrainien s’accentue au début des années 80 : la plupart des membres du Groupe d’Helsinki sont arrêtés et déportés. Certains militants politiques rebelle à la « rééducation » ne reviendront pas des camps, d’autres feront leur autocritique. L’Eglise gréco-catholique résiste aussi clandestinement malgré les persécutions.

Mais une crise économique et politique frappe l’URSS dont la société se désagrège. Aussi le nouveau secrétaire général du PCUS, Michael Gorbatchev, annonce une période de « restructuration » « démocratisation » et « transparence ». En avril 1986 se produit l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl qui annonce celle du système soviétique dont elle symbolise la faillite. L’année suivante c’est le système répressif qui se relâche, et les dissidents libérés s’activent. En 1989 se constitue à Kiev la « Société de Langue Ukrainienne » puis le « Mouvement National d’Ukraine » (NRU ou Roukh), qui veut rassembler, outre les Ukrainiens ethniques, des représentants des diverses minorités. Sa montée en puissance est rapide et il encourage la série de grèves qui éclatent. C’est alors que renaît l’Eglise Orthodoxe Autocéphale Ukrainienne tandis qu’en Ukraine occidentale l’Eglise Greco-Catholique proclame sa restauration officielle (1990).

En octobre 1989 enfin une loi reconnaît le statut officiel de la langue ukrainienne.

La désintégration de l’URSS menaçant, Gorbatchev joue sa dernière carte en chassant les réformateurs de la direction du Parti et se lance dans une nouvelle répression des mouvements nationaux. L’effet est inverse à celui recherché, et à la tête de la RSS d’Ukraine « démocrates » et apparatchiks s’affrontent. Enfin le 16 juillet 1990 le Conseil Suprême de la République adopte la « Déclaration de souveraineté de l’Ukraine ». Le mouvement s’accélère avec des manifestations et la création de nouveaux partis.

Gorbatchev, suivant l’évolution en proposant un référendum sur un nouveau traité de l’Union allant dans le sens de la libéralisation, les « Conservateurs » tentent un coup d’état à Moscou le 19 août 1991 : échec, et c’est le PCUS qui se trouve interdit.

Le Conseil Suprême (parlement) de la RSS d’Ukraine approuve dès le 24 du même mois « l’Acte de proclamation de l’indépendance de l’Ukraine » qui affirme que « le territoire de l’Ukraine est indivisible et intangible ».

Ce n’était pas pour le nouvel état-nation la fin des problèmes, au contraire, comme nous le verrons.

De la « nation sans état » à l’« état-nation » le chemin est difficile :

Le 1er décembre 1991, un référendum sans surprise confirme le choix des députés ukrainiens, tandis que dans les jours qui suivent, le traité de création de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) est signé avec la Russie et la Biélorussie : l’URSS a cessé d’exister.

Mais ce n’est qu’en août 1992 que le président de l’UNR en exil reconnaît que le nouvel état, présidé par Leonid Kravchouk,  en est « le successeur légitime ».

Devenu indépendant, le pays a adopté des symboles issus de son passé tumultueux : le drapeau bleu et jaune, le Trident de Saint-Vladimir, et l’hymne de 1864 « L’Ukraine n’est pas morte ».

La « désoviétisation » s’est poursuivie par l’entrée au Conseil de Coopération Nord Atlantique (1992) et au Conseil de l’Europe (1995).

L’Ukraine s’est par ailleurs « dénucléarisée », présentant un cas unique de pays démantelant son arsenal nucléaire.

On connaît le poids de la religion parmi la population ukrainienne, pour qui le mot « laïcité », sans doute rendu odieux par la période soviétique, ne semble guère avoir de sens. Aussi l’attitude des églises est-elle primordiale  – et significative – : après une tentative vaine d’obtenir son indépendance de la part de l’Eglise Orthodoxe Russe, l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne s’est proclamée « autocéphale ». Cette décision ne faisant pas l’unanimité, une partie de l’Eglise Orthodoxe a tenu à rester sous tutelle du Patriarcat de Moscou, l’autre se ralliant au Patriarcat de Kiev. L’Eglise Gréco-Catholique renaissant de son côté, non sans conflits au sujet de la récupération d’édifices de culte ayant été attribués dans la période précédente à l’Eglise Orthodoxe.

Mais des tensions plus graves n’allaient pas tarder à apparaître au grand jour. Ainsi dès 1992 la Fédération de Russie déclarait nul le transfert effectué en 1954 de la Crimée à la RSS d’Ukraine. Optimiste, A. Joukovsky, dont l’Histoire de l’Ukraine a été rééditée et mise à jour en 2005, y note : « C’est grâce à l’intervention d’autres pays que le problème a été résolu ». Nous savons aujourd’hui ce qu’il est advenu de ce territoire, qui il est vrai, et comme nous l’avons ici où là relevé, a eu une histoire très en marge de celle de l’Ukraine proprement dite.

De plus, dès les premières années suivant l’accession à l’indépendance « les changements sociaux et économiques ont provoqué le mécontentement du peuple » relève Joukovsky : la magie des mots ne suffit pas à résoudre tous les problèmes. De même que les autres états de la CEI, la république d’Ukraine n’a pas connu de véritable « épuration » postcommuniste. L’on évita ainsi les drames provoqués par les pouvoirs qui avaient appliqué dans le passé une telle politique, mais le personnel de l’ancien régime restant largement en place il y avait peu de chance qu’il change brutalement ses habitudes (31). Donc, après une série de « mouvements sociaux », en particulier dans les zones industrielles, le parlement se résolut à organiser des élections législatives anticipées. L’on se retrouve ainsi avec une Rada majoritairement « de gauche » où les Communistes faisaient partie des plus grands groupes parlementaires avec les Socialistes et les Nationalistes. Et en juillet 1994 Leonid Koutchma était élu à la tête de l’état. Comme son prédécesseur il était issu de l’ancienne nomenklatura.

L’on en profita pour mettre sous le boisseau les revendications concernant la Crimée, et annuler les « décisions anticonstitutionnelles » de son gouvernement. Ce qui n’annulait pas les problèmes, en particulier celui du retour des Tatars déportés par Staline.

Dès 1995 le Président des Etats-Unis se rendait en Ukraine, ce qui aboutit à des mesures de coopération entre les deux pays.

En 1996 le Parlement adoptait une nouvelle constitution pour remplacer celle héritée de la RSS, mais ceci non sans tensions avec le président, et la même année une monnaie nationale, le Hryvnia, remplaçait la devise temporaire.

Dans le même temps l’Ukraine poursuivait une « collaboration active » (Joukovsky) avec l’OTAN, qui contrairement au Pacte de Varsovie, nos seulement subsistait mais s’élargissait. En 1997, Koutchma se rendait au sommet de ladite OTAN et y signait une Charte de « partenariat particulier » qui avait tout l’air d’une étape avant adhésion complète. Ce que semblait confirmer la rencontre de la Commission Ukraine-OTAN au sommet de celle-ci, tenu à Washington en 1999.

Consécration : en 1997, le premier cosmonaute de l’Ukraine indépendante était admis à bord de la navette spatiale américaine Columbia.

En 1998, de nouvelles élections au Parlement voyaient 30 ( !) partis en lice, avec les résultats droite-gauche mitigés. C’est aussi l’année où la « Banque européenne pour la reconstruction et le développement » choisit de se réunir à Kiev : l’Ukraine signait alors plusieurs accords de crédit.

Sur le plan des gestes symboliques, on relèvera la reconstruction du monastère médiéval Saint-Michel, détruit sous le régime communiste, et sa consécration à laquelle assistaient le Président de la République et le Chef du Parlement, marquant ainsi que la religion était bien partie intégrale de l’identité ukrainienne. Et en 1998 une Journée du Souvenir, annuelle depuis, commémorait officiellement les famines de 1921, 1932-1933, et 1946-1947, qui selon l’historien Joukovsky ont causé la mort de 15 millions de personnes.

Vers la « Révolution orange » :

En 1999 Koutchma est réélu à la présidence et nomme Victor Iouchtchenko premier ministre. En 2000 le Parlement abolit la peine de mort « comme le Conseil de l’Europe l’exigeait » (Joukovsky dixit – c’est nous qui soulignons). Mais la ratification de la « Convention des Droits de l’Homme » n’a pas miraculeusement transformé l’Ukraine en démocratie « à l’occidentale » : les « oligarques » plus ou moins maffieux (les « bandits ») restent tout puissants, la justice sous influence, et la presse d’opposition est l’objet de pressions. Ainsi le journaliste Gongadzé « disparaît » le 16 septembre : son corps sera retrouvé ultérieurement, et ce n’était ni la première ni la dernière d’une série de « morts suspectes ». L’ « affaire » deviendra un scandale entraînant des mouvements de foule, surtout après la diffusion via les « bandes audio de Melnytchenko » de conversations du président laissant supposer sa responsabilité dans l’assassinat (32). Néanmoins Koutchma se maintint au pouvoir, tandis que l’opposition se regroupait autour de son ancien premier ministre Iouchtchenko et du bloc « Notre Ukraine ».

En 2003 Koutchma signait de sa propre autorité un accord avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan pour un « Espace Economique Commun ». En revanche la même année « en conformité avec la résolution du Conseil de Sécurité, sous le contrôle des Etats-Unis » (Joukovsky) l’Ukraine envoyait un contingent militaire en Irak, ce qui équivalait à un alignement sur la politique des pays occidentaux.

Alors que les élections présidentielles de 2004 approchaient, la situation socio-économique du pays s’était notablement améliorée, tandis que son patrimoine monumental comme spirituel était mis en valeur. Et une chanteuse ukrainienne gagnait même l’Eurovision 2004 !

Le président Koutchma, empêché des briguer un  troisième mandat, délégua comme « poulain » son premier ministre Victor Ianoukovitch, ancien dirigeant de la région  industrielle orientale de Donetsk. Face à lui, parmi les 26 candidats à la présidence,  se dressait Victor Iouchtchenko. Signal fort dans un pays dont nous avons souligné la religiosité, celui-ci lança sa campagne en mai  près de la « Laure » (grand monastère) de Kiev, promettant un pays européen, fort et démocratique. Dans les mois qui suivirent  Iouchtchenko était victime d’une tentative d’empoisonnement à la dioxine. Il sera soigné à Vienne mais conservera des séquelles. De retour il accusa le pouvoir – sans que les responsables aient été identifiés.

 Le premier tour des élections eut lieu le 31 octobre 2004 sous la surveillance d’observateurs du Conseil de l’Europe, de l’OSCE « et d’autres associations internationales » (Joukovsky). Les deux candidats favoris se tenaient sensiblement à égalité tout en restant éloignés de la majorité.

Le 21 novembre le second tour donnait Ianoukovitch vainqueur tandis que l’opposition criait à la fraude et faisait appel à la Cour Suprême. Suivant le Parlement, celle-ci annulait les résultats et fixait un troisième tour au 26 décembre.  Mais la rue interférait dans le scrutin via la « Révolution orange » occupant la Place (Maïdan) de l’Indépendance de la capitale (33).

Ces manifestations comprenaient des représentant de l’ensemble de la société ukrainienne, y compris des administrations et services publics. Cette révolution « démocratique » entreprit de faire céder le pouvoir en bloquant l’accès aux institutions gouvernementales, empêchant les ministres comme les fonctionnaires de se rendre à leur poste ; le Président lui-même se retranchant de par le fait dans sa résidence secondaire. Plusieurs médiateurs européens se rendirent alors en Ukraine, dont le représentant de l’UE et les présidents polonais et lituaniens (34).

Cette fois Iouchtchenko allait remporter le scrutin sans que l’on puisse parler de plébiscite (52% des voix). A noter qu’il avait bénéficié du soutien massif des Ukrainiens résidant en France. Ianoukovitch lui ne réussit pas à faire annuler les élections, et son heureux challenger était investi au début de 2005. Il faisait de Ioulia Tymochenko, qui s’était abstenue de se présenter concurremment et au contraire l’avait soutenu, son premier ministre (elle sera révoquée dès septembre). Sur Maïdan, le nouveau Président promettait l’adhésion à l’UE. Il annonçait aussi la lutte contre la corruption et une enquête sur la mort du journaliste Gongadze. Elle n’allait pas tarder à aboutir et correspondra à une série de « suicides » parmi l’ancien personnel dirigeant.

L’un des premiers actes du nouveau chef de l’Etat sera de faire la tournée des capitales ou sièges de pouvoir occidentaux : Strasbourg, Bruxelles, Berlin, Washington, et même Rome à l’occasion des funérailles du pape Jean-Paul II. Il se rendit tout de même aussi à Moscou. Devant le Congrès des Etats-Unis il devait déclarer que « …l’Ukraine est une nation européenne moderne, qui appartient à la même civilisation et possède les mêmes valeurs (.. .) Ma vision du futur, c’est l’Ukraine dans une Europe unie ». Le message était clair, et avait sans doute été reçu aussi en Russie…

Plus tard le même déclarait « L’Ukraine ne risque pas d’être uniquement le bénéficiaire de l’expérience et des aides européennes. Elle sera aussi un contributeur, notamment en matière de sécurité » : là encore Moscou avait du prêter une oreille attentive.

L’on serait tenté de clore ici, car l’actualité étant le produit de l’histoire, le lecteur a dans ce résumé de celle des territoires formant l’Ukraine actuelle « reçu les clés » de son avenir. Nous poursuivrons néanmoins après cette partie « factuelle », sur le terrain plus mouvant des évènements récents, jusqu’à la « troisième révolution » (après celles de 1991 et 2004), que A. Arjakovsky qualifie de « révolution de la dignité ». Puis nous tenterons une prospective, d’autant plus prudente que la situation, au moment où nous écrivons, évolue au jour le jour.

… jusqu’à la guerre ?

Le nouveau pouvoir ukrainien se tournant vers l’Occident, dès le début de 2006 la Fédération de Russie cesse de lui faire de « bonnes manières », en particulier la livraison de gaz largement au-dessous du prix du marché. Et aux élections législatives de mars c’est le « Parti des Régions », soutien des anciens dirigeants, qui arrive largement en tête, suivi du « Bloc Tymochenko », « Notre Ukraine » se trouvant nettement en retrait et socialistes comme communistes en queue de peloton. En août le Président Iouchtchenko  prend Ianoukovitch comme premier ministre : dans son gouvernement « la plupart des membres sont responsables des fraudes de 2004 » (A. Daubenton).

Le printemps 2007 voit la dissolution de la Rada, ce qui entraîne des manifestations. Néanmoins le Président et le Premier ministre arrivent à s’accorder au sujet d’élections anticipées, tandis qu’un sommet Ukraine-Union européenne se tient à Kiev. Ces législatives ont lieu de 30 septembre et placent de nouveau en tête le Parti des Régions, mais suivi de près par celui de Tymochenko (175 et 156 députés), qui (re)devient ainsi de justesse Premier ministre.

En février 2008 et malgré l’opposition de la Chine et de la Russie, la sécession du Kossovo est reconnue par la plupart des pays occidentaux : Moscou en prend bonne note et saura arguer de ce précédent. Presque simultanément Ioulia Tymochenko se rend en Russie pour y traiter de coopération économique.  En revanche lors du sommet de l’OTAN en Roumanie, le principe de l’admission de l’Ukraine est admis, mais à terme, et celle-ci entre dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en mai.

C’est en août que la Russie, présidée par Dimitri Medvedev et ayant pour premier ministre Vladimir Poutine, relève la tête après la longue période d’abaissement et de crise qui avait suivi l’éclatement de l’URSS : elle intervient en Géorgie pour permettre à l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud d’accéder à l’indépendance.  Moscou avait en son temps prévenu que l’intervention militaire de l’OTAN contre la Serbie, et l’indépendance du Kossovo qui avait suivi, ne seraient pas sans conséquences. Cette fois la Russie envoyait « un signal fort ». Dans les jours suivants, Tymochenko était accusée de « haute trahison » et « corruption », le Secrétariat de la présidence lui reprochant de « ne pas avoir dénoncé l’intervention militaire russe en Géorgie et pour favoriser systématiquement les intérêts du Kremlin » (Daubenton) (35). 

Avec l’hiver arrivait un nouveau conflit au sujet du gaz, dont la livraison par la Russie fut provisoirement interrompue, et Ioulia Timochenko se rendait de nouveau à Moscou pour y trouver un accord. En mars 2009 elle se trouvait à l’Elysée, puis à Bruxelles afin d’y signer la « Déclaration commune » qui fixait les conditions d’un soutien financier occidental, ce qui amenait Poutine, qui y voyait un acte antirusse, à donner de la voix.

Une nouvelle crise gazière éclate à l’approche des froids : Poutine déclare que le Président ukrainien empêche le paiement de la consommation d’octobre par Naftogaz (équivalent à Gazprom pour la Russie) et demande à l’Europe d’aider l’Ukraine à régler sa dette. Outre qu’il annonce qu’au 1er janvier 2010 le gaz transitant devra être au prix du marché, soit une hausse de 60%.

Un geste symbolique, peu fait pour plaire à Moscou, est alors accompli par Iouchtchenko avant la fin de son  mandat : décorer (à titre posthume) Stéphane Bandera. Au deuxième tour des présidentielles Ianoukovitch l’emporte de quelques points sur Tymochenko. Le 1er mars 2010 c’est cette fois Ianoukovitch qui se rend à Bruxelles, mais pour y annoncer que l’Ukraine ne désire plus adhérer à l’OTAN, la priorité étant néanmoins l’intégration dans l’EU. Puis il va à Moscou où Poutine l’invite à rejoindre l’Union douanière récemment mise en vigueur entre les pays de la CEI.

En outre le nouveau Président remplace les gouverneurs des provinces, ainsi que nombre de fonctionnaires, tandis qu’une réforme constitutionnelle réduit les pouvoirs du parlement.

L’année 2011 commence par l’ « Annulation de l’octroi de héros à S. Bandera » (A. Daubenton), comme promis à Moscou. Simultanément la « traque » de Ioulia Tymochenko se poursuit et elle est accusée d’abus de pouvoir – tandis que Koutchma est l’objet d’une enquête criminelle au sujet du meurtre de Gongadzé commis une dizaine d’années plus tôt (c.f . supra).

En avril, dans son discours à la Rada, le Président se livre à un exercice d’équilibrisme en déclarant qu’il vise à la fois l’intégration dans l’UE et le rapprochement avec l’Union douanière de l’UEI. Outre qu’en mai l’Ukraine se trouve à présider le Conseil de l’Europe.

L’action judiciaire lancée contre Tymochenko se concrétise par une inculpation-arrestation-libération successives (36) mais en octobre elle est condamnée à 7 ans de prison pour avoir passé un accord gazier défavorable à son pays. A côté de ceci  l’opposition au régime s’organise et des mouvements de protestation ont lieu alors que le président Ianoukovitch et ses proches consolident leur fortune. Ceci n’empêche pas les négociations concernant l’entrée dans l’UE de se poursuivre.

La tension monte. Lorsque le Parti des Régions présente un projet de loi visant à donner au russe le statut de deuxième langue d’état, des bagarres éclatent à la Rada pour l’empêcher, et l’OSCE s’immisce accusant dans une lettre au président du Parlement ledit projet de mettre en cause la stabilité ukrainienne (37).

2013 voit le 16e sommet UE-Ukraine, toujours à Bruxelles. A Kiev l’opposition bloque la tribune du Parlement, obligeant la majorité à se réunir « hors les murs ». Au printemps les manifestations diverses se multiplient, en particulier autour d’ « Ukraine debout », demandant la démission de Ianoukovitch. Ceci tandis que les instances européennes menacent la Russie, sommée par le Parlement européen de cesser ses pressions « inacceptables » sur les pays de l’ex-URSS cherchant à se rapprocher de l’UE. Celle-ci promettant, si l’accord d’Association est signé, de fournir dans un premier temps 45 millions d’euros à l’Ukraine, suivis d’un prêt de 610 millions en cas d’accord avec le FMI.

L’on assiste à de véritables enchères pour « acheter » l’Ukraine : de leur côté les banques russes proposent un crédit de 750 millions de dollars et Gazprom baisse ses prix.

Il est mis fin au service militaire obligatoire (nota : que le nouveau pouvoir ukrainien a, au moment où nous écrivons, décidé de rétablir). Dans les grandes villes du pays on défile pour célébrer l’anniversaire de la création de l’UPA : le symbole est clair. Le 9 novembre le Président se rend à Moscou sans que l’on sache de quoi il a été traité. Surtout, le 21, une semaine avant le sommet de Vilnius où l’accord devait être conclu, le gouvernement annonce qu’il renonce à l’association UE-Ukraine.

Ceci met le feu aux poudres : le 24, une manifestation protestataire de masse (100 000 personnes selon Arjakovsky) à lieu sur la Place de l’Indépendance et cet « euro-Maïdan » décide d’occuper les lieux. Ce qui n’empêche pas Ianoukovitch de maintenir sa position à Vilnius.

A partir de là les manifestations entrecoupées de tentatives de dispersion par la police anti-émeutes (Berkut) vont se multiplier, marquées par des pics de violence qui culmineront en février 2014 : le 19 on compte 25 morts, dont 9 policiers, ce qui laisse supposer que les insurgés n’étaient pas tous des partisans de la résistance passive. Des « snipers » et des provocateurs seraient intervenus (l’ambassadeur russe à l’ONU accusera les USA, et le SBU ukrainien son homologue russe le FSB…). Ceci tandis que l’opposition occupait les administrations locales dans une bonne partie du pays.

Permettons-nous ici une parenthèse : si les auteurs actuels d’origine ukrainienne, d’ailleurs pour la plupart titulaires de postes dans des institutions étrangères, se plaignent que jadis l’on ne disposait sur leur pays que du point de vue russe, tsariste puis communiste,  c’est aujourd’hui l’inverse. Tout en respectant leurs convictions patriotiques, naturelles dans un pays (re)devenu depuis peu état-nation, nous ne nous engageons pas au sujet de leur indépendance. Ils chargent systématiquement le régime déchu et la Russie de la responsabilité de ces évènements sanglants, mais en ce qui nous concerne nous nous refusons à tenter d’être l’arbitre d’un jeu du type « c’est lui qui a commencé ».

L’histoire s’accélère :

Le pouvoir cède alors devant la rue (ou plutôt la place…) et signe un accord avec les représentants de l’opposition et trois ministres des affaires étrangères : Allemagne, France et Pologne, outre un représentant russe qui lui refuse de signer. Il prévoit le maintien de Ianoukovitch jusqu’à des élections anticipées, un gouvernement d’union nationale, et un retour au régime parlementaire. « L’accord est refusé par « maïdan » (Daubenton).

Devant l’évolution de la situation le chef de l’état est progressivement abandonné par ses partisans ainsi que par la force publique. Le Parlement « s’adapte » et vote la libération de Tymochenko qui fait figure de prisonnier politique, et mieux, demande à la CPI l’inculpation du Président de la République pour meurtres de masse et crime contre l’humanité.

De son côté la Russie conteste la légitimité du nouveau pouvoir et met en alerte des troupes le long de la frontière. La tension monte en Crimée où le 27 février les bâtiments publics sont pris d’assaut par des éléments pro-russes (et même des Forces spéciales russes selon la partie adverse) et les députés votent l’organisation d’un référendum d’autonomie. La Douma autorise même le Président Poutine (qui aux dernières élections avait « permuté » avec Medvedev) d’engager les forces armées sur le territoire ukrainien. Ces seules mesures sont déjà considérées par l’UE et les Etats-Unis comme des violations du droit international et « une violation de la souveraineté ukrainienne » pour le président américain Obama. Son homologue russe réplique qu’un « coup d’état anticonstitutionnel » a eu lieu en Ukraine.

Ceci tandis que le Parlement de Crimée vote une demande de rattachement à la Russie sanctionnée par un référendum qui a lieu le 16 mars et donne le résultat attendu. Le traité correspondant est signé le 18 tandis que le Parlement de Transnistrie demande à son tour à la Douma le rattachement à la Russie.

Le 21 mars le Premier ministre ukrainien par intérim, Arsène Iatseniouk (38), signe à Bruxelles l’Accord d’Association avec l’Union Européenne.

Néanmoins le pouvoir peu solide de celui-ci est déjà contesté, en particulier par les nationalistes ; et dès fin mars il doit avouer que « l’Ukraine est au bord de la banqueroute » (Arjakovsky). Ce qui annonce une récession et oblige de prévoir des mesures fiscales impopulaires.

La Russie n’est pas plus heureuse, l’Assemblée générale des Nations Unies condamnant le rattachement de la Crimée à une majorité écrasante.

Et d’autres mouvements de rue se déclenchent : le parti nationaliste Pravy Sektor, qui avait fourni les troupes les plus résolues de « Maïdan » et dont un responsable avait été abattu par la police le 24 mars ( !) réclame la démission du ministre de l’Intérieur ainsi que de celui de la Défense et prend d’assaut la Rada – qu’il évacue peu après.

Tandis que les choses s’enveniment sur le plan diplomatique, le dernier jour de mars le Conseil régional de Donetsk réclame aussi un référendum et la garantie du russe comme langue d’état. De son côté Obama donne son accord pour des crédits à l’Ukraine et des sanctions contre la Russie s’ajoutant à celles déjà prises (les pays européens y participeront). Ses Services de renseignement prétendent même avoir intercepté des échanges entre ambassadeurs de Russie en Afrique faisant apparaître que ses prochains objectifs seraient « la Catalogne, Venise, l’Ecosse et l’Alaska » (Arajakovsky dixit) : manque la Bretagne et la Corse…

Début avril, des « séparatistes » pro-russe prennent d’assaut des bâtiments publics à Donetsk et Louhansk, et à Kharkov l’administration régionale est investie. Le 7 une « République de Donetsk » est proclamée, avec demande de rattachement à la Fédération de Russie (l’Etat ukrainien avait  de son côté systématiquement refusé d’envisager un système fédéral) : le Donbass est en cours de sécession, et Poutine réactive le nom de Novorossia (« Nouvelle Russie », employé au XIXe siècle).

Vladimir Poutine demande que désormais l’Ukraine paie d’avance ses fournitures de gaz et met en demeure des pays européens d’éponger sa dette s’ils veulent continuer à être eux- même approvisionnés. De son côté l’Assemblé Parlementaire du CE enlève provisoirement son droit de vote à la Russie. En revanche la zone de libre échange entre l’Ukraine et l’UE sera active à compter du 1e novembre.

Le 21 avril est marqué par un « geste fort » : Joe Biden, vice-président des Etats-Unis, se rend en Ukraine dont il assure le gouvernement du soutien de la première puissance mondiale qu’il représente.

Le 11 mai, ce qu’ Arjakovsky qualifie de « simulacre de référendum » à lieu dans le Donbass et la région de Louhansk tandis que Kiev interdit à la télévision russe de diffuser sur le territoire de l’Ukraine. Et la « République populaire de Novorossia » est proclamée depuis Moscou par le chef des séparatistes d’Odessa.

Le « concurrent » russe étant forfait, les instances européennes et internationales restent seules en lice pour l’ « achat » de l’Ukraine, et le FMI préconise un prêt de 17 milliards de dollars à celle-ci fin avril (fin mars il manquait à l’Etat ukrainien 29 milliards d’euros).

Le 7 juin la République d’Ukraine avait un nouveau Président : Petro Porochenko, que le journal L’Humanité du 21 octobre 2014 présente dans son titre comme « l’atout de l’extrême-droite » : l’on est en pleine « guerre des mots », à défaut de guerre tout court entre Ukraine et Russie comme Arjakovsky le répète en leitmotiv dans son livre (39). Le même quotidien prétend que ce sont les « milices d’extrême-droite » qui combattent les pro-russes, et qualifie tout simplement le mouvement nationaliste ukrainien Svoboda de « parti d’extrême-droite, néonazi ».  Le vocabulaire de la Guerre froide, et même de la « Grande guerre patriotique » russe (1941-45), est réactivé : dès l’origine du conflit, Moscou à dénoncé les « banderistes » et « fascistes ». Or, bien qu’à notre connaissance aucun des auteurs traitant du sujet ne l’ait rappelé, et alors que l’on peut le vérifier grâce aux actualités cinématographiques de l’époque, dans la terminologie soviétique le mot « fascistes » désignait plus particulièrement les forces de l’Allemagne nationale-socialiste (une manière de ne pas compromettre le mot « socialiste », les anglo-américains utilisant eux la contraction à caractère péjoratif « nazi »). Quant au président (et milliardaire) Porochenko, A. Arjakovsky rappelle que « son père est d’origine nationale juive » : comment s’y retrouver, d’autant plus que les deux partis s’accusent mutuellement du péché irrémissible d’ « antisémitisme » ? Quand aux autorités ukrainiennes, ainsi que les auteurs francophones qui les soutiennent, elles qualifient systématiquement les séparatistes pro-russes de « terroristes ». Mais peut-être que les uns et les autres, peu férus d’histoire, ignorent que c’était la désignation officielle en France occupée de ceux qui se présentaient comme « résistants » ? Dans la même veine, Antoine Arjakovsky, à l’ouvrage duquel nous avons beaucoup fait référence, du fait que publié il y a quelques mois il expose un point de vue d’ « Ukrainien de l’extérieur » (rédigeant en français) donné « à chaud », s’il se défend d’être russophobe il fait en revanche une véritable fixation sur le chef de l’état. Vladimir Poutine y est ainsi présenté : « Il est en ce sens entièrement fidèle à Staline », « Vladimir Poutine, ancien agent du KGB », « Poutine a besoin de la Laure de Petchersk, la mère des villes de la Rous’ », « Je ne suis pas au fait de l’état psychique de Poutine, mais je crois qu’il ressemble à un éternel dragon insatiable », enfin la comparaison dont on ne se remet pas, via la citation d’un « satiriste russe » : « Hitler a attendu trois ans après les JO de Munich pour envahir la Tchécoslovaquie. Poutine a croqué la Crimée au lendemain de la clôture des Jeux de Sotchi ». Poutine est l’actuelle incarnation du Mal Absolu, et la Sainte-Russie « Troisième Rome » la réincarnation du  IIIe Reich. D’ailleurs, à défaut du TMI de Nüremberg, l’auteur prédit au Président de la Fédération de Russie, s’il s’obstine dans sa « mythologie nationaliste » et après « un vaste et sanglant conflit international », qu’il finira comme Milosevic devant le TPI de la Haye…

Il n’y a pas forcément lieu de sourire, et il est permis de voir des analogies dans la situation actuelle et celle de la fin des années 30 du siècle dernier. La même politique d’encerclement – que l’on préfère camoufler sous le terme américain de containment – pratiquée vis-à-vis de l’Allemagne après sa défaite militaire de 1918 en l’entourant d’états nouveaux ou « récréés », a priori hostiles et liés entre eux par divers accords dirigés contre le vaincu (c.f. note 27), préfigure celle appliquée à la Russie après cette défaite sans guerre qu’a été l’effondrement de l’URSS (pourquoi le maintient et l’élargissement de l’OTAN alors que le Pacte de Varsovie n’existe plus et que même plusieurs de ses anciens membres ont rejoint l’Alliance Atlantique ?)

L’Allemagne était devenue hitlérienne pour retrouver sa grandeur d’avant la défaite et réunir en son sein les populations allemandes qui lui avaient été arrachées par des Traités imposés (Diktat), ce qui s’est fait dans un premier temps par des échanges avec les états ouverts au dialogue, puis par des pressions, mais sans effusion de sang (de nos jours encore nombreux sont ceux qui regrettent que l’on n’ait pas déclaré la guerre dès septembre 1938…) Les revendications de 1939 concernant le « Corridor de Dantzig », qui coupait l’Allemagne en deux, étaient somme tout modestes, mais les états « démocratiques » ont poussé la Pologne – qui jusque là avait d’excellentes relations avec le Reich et profité des Accords de Munich pour arracher le bassin minier de Teschen à la Tchécoslovaquie – à l’intransigeance en lui promettant leur appui. On sait ce qu’il en est advenu. La Crimée pourrait avoir été les Sudètes de la Fédération de Russie et le Donbass (pour simplifier) serait son Couloir de Dantzig (ou son Alsace-Lorraine si l’on préfère). Il s’y déroule pour l’instant un conflit de « basse intensité », l’Armée ukrainienne ne semble pas briller par son efficacité et il semblerait que comme à « Maïdan » ce soit les volontaires des mouvements nationalistes qui se trouvent en première ligne (en Crimée les forces ukrainiennes se sont rendues sans même tenter un « baroud d’honneur »). Le conflit s’enlise, mais dure.

Outre différentes « fondations », financées entre autres par le milliardaire américano-judéo-hongrois Georges Soros (0pen Society Fondations) et qui ont fourni le « nerf de la guerre » – pour l’instant civile – à différentes « révolutions de couleur », le périodique belge Renaissance Européenne (automne 2014) rappelle que : « Récemment encore, Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat US, se flattait publiquement d’avoir dépensé 5 milliards de dollars pour « financer la démocratie en Ukraine » (c’est nous qui soulignons). Déjà dans « Le Grand échiquier » Zbigniew Brezinski, l’inusable conseiller stratégique d’origine polonaise de la Maison Blanche, avait déclaré qu’il fallait isoler la Russie et surtout la démembrer en commençant par l’Ukraine…

En outre il ne faut pas perdre de vue que les Etats-Unis sont la première puissance militaire mondiale et que leur budget représente en ce domaine 36% de l’ensemble de celui de la planète (Russie : 4%)(*) : lorsque le Soft Power ne suffit pas, l’on peut envisager de passer à la vitesse supérieure. Mais la Russie de Poutine est tout de même d’une autre pointure que l’Irak de Saddam Hussein. Et l’équilibre n’est pas le même qu’au milieu du XIXe siècle, où l’Angleterre et la France lui faisaient la guerre, justement en Crimée, pour défendre l’Empire ottoman… et surtout contrer son expansion. Il pourrait être imprudent après avoir encerclé la Russie de lui donner l’impression d’être carrément assiégée. Après le « Bouclier anti-missiles » l’adhésion de l’Ukraine à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord pourrait être la provocation de trop. Ceci dit, on en serait presque à se féliciter de l’existence de l’arme nucléaire, que les Russes ont brandi quelques années après Hiroshima, entraînant un « équilibre de la terreur » qui dure encore et empêche que les guerres ne deviennent (trop) « chaudes »…

Pour continuer avec les évocations des années 1930, rappelons que ce sont les sanctions internationales (40) prises à l’encontre de l’Italie fasciste en 1936 après son invasion de l’Ethiopie qui ont jeté Mussolini dans les bras d’Hitler alors que jusque-là il assurait une fidèle « garde au Brenner » interdisant l’Anschluss. Là aussi on connaît la suite. Poutine lui est ainsi rejeté  vers l’est, où la Chine lui réservera sans doute un accueil fraternel, ne serait-ce que pour contrebalancer le poids de l’ « Hyperpuissance » yankee.

Et l’Ukraine d’aujourd’hui a-t-elle envie d’assumer le rôle de la Pologne d’hier dans ce qui semble un remake d’une tragédie déjà jouée il y a trois-quarts de siècle et qui n’a guère profité aux Européens, y compris ceux qui se sont retrouvés dans le camp des vainqueurs ? Il est à espérer qu’elle se penche sur son histoire et en tire des enseignements. Quoi que prétendent certains « stratèges du chaos », personne, Russie comprise, ne semble remettre en cause son statut récent d’état-nation. Reste à en fixer les frontières, et ce ne serait pas forcément une « perte sèche » pour l’Ukraine, pays aux limites incertaines depuis les origines, de se séparer de régions dont la population n’est pas d’ethnie ukrainienne (c.f. note 4) ou bien l’étant, se sent culturellement plus proche du grand voisin slave, au moins par la langue.

Quand à l’ « Europe » (de Bruxelles), dans laquelle certains voient une sorte de « tiroir-caisse » s’ouvrant au mot magique de « démocratie », elle risque de décevoir à l’usage, car il se pourrait que ladite caisse, déjà beaucoup sollicitée par les pays du Sud, s’avère vide…

                                                                      L-C Gautier

                                                           Le 30 novembre 2014, fête de Saint-André

  • Il est caractéristique de l’attitude des publications françaises du passé proche (1962) que le Grand Larousse encyclopédique le présente ainsi : « écrivain russe… Issu d’une famille de petits propriétaires ukrainiens » : l’Ukraine, n’étant pas un état, ne pouvait avoir d’écrivains.
  • N’ayant pas pour propos d’écrire un traité de géographie économique, nous n’assommerons pas le lecteur avec une avalanche de chiffres qu’il pourra se procurer par ailleurs, il ne s’agit que de lui faire saisir le poids d’un pays dont on s’est jusqu’ici peu préoccupé.
  • Ce chiffre ne prend pas en compte la récente sécession de la Crimée et ne préjuge pas de l’avenir de la région du Donbass, théâtre de combats entre indépendantistes pro-russes et forces gouvernementales au moment où nous écrivons. Dans tous les cas la République d’Ukraine – sauf éclatement – conservera un territoire d’une superficie considérable.
  • 47 956 500 habitants en 2003 se répartissant alors comme suit : 77,8% d’Ukrainiens ethniques, 17,3% de Russes, 0,6% de Biélorusses, 0,5% de Moldaves, 0,5% de Tartares (en Crimée), 0,4% de Bulgares, 0,3% de Hongrois (idem pour Roumains et Polonais), 0,2% de Juifs. La minorité allemande a été éliminée par les Soviétiques. Nota : ces chiffres sont empruntés au Quid 2004 et confirmés par I. Lebedynsky in Ukraine une histoire en questions (2008).
  • C.f . également Arkady Joukovsky, autre historien d’origine ukrainienne, in Histoire de l’Ukraine – Des origines à nos jours – (réédition de 2005). Celui-ci situe la civilisation tripolienne entre 4 000 et 2 000 av. J-C, mais ceci n’est qu’une divergence de détail.
  • Sur l’ensemble du sujet on peut également se reporter à L’Indo-Européen et Les Indo-Européens de Jean Haudry (1992, le second réédité et complété en 2010).
  • Une des hypothèses les plus vraisemblables sur leur foyer antérieur est sa localisation dans l’île de Gotland, qui aujourd’hui appartient au Royaume de Suède.
  • Nomades d’origine turque, qui eux-mêmes chassés par les Arabes vinrent occuper la rive septentrionale de la mer Noire.
  • Nom donné aux Scandinaves, essentiellement suédois, qui descendirent de la Baltique à la mer Noire en empruntant les fleuves, pour commercer et éventuellement piller, et sont généralement connus comme mercenaires au service de l’Empire byzantin.
  • On peut s’étonner que l’historien ukrainien A. Joukovsky s’entête à user aujourd’hui de cette notion marxiste : il n’est pas facile de se « désoviétiser » mentalement !
  • Les boyards étant en quelque sorte l’équivalent oriental de la noblesse occidentale à la même époque.
  • Ou Coumans : nomades turcs qui occupèrent la steppe du fleuve Oural au Danube du XIe au XIIIe siècle. Eux-mêmes vaincus par les Mongols de Gengis Khan en 1222. Ils ne sont guère connus du public français qu’à travers les « Danses polovtsiennes » du Prince Igor de Borodine…
  • Outre, ce qui est moins connu, les Templiers allemands dont les « maisons » étaient situées sur le territoire de la Pologne actuelle.
  • Droit coutumier et recueil des décisions juridiques de la ville allemande éponyme, qui fut largement adopté en Europe centrale et même orientale. Il garantissait l’administration autonome des villes dans la ligne des franchises communales de l’Occident médiéval.
  • Le mot « république » étant pris dans son sens originel et non dans celui restrictif que lui donnera la Révolution française.
  • Il est ainsi permis – mutatis mutandis – de les comparer aux Vikings, qui n’étaient désignés comme tels que lors de leurs expéditions et redevenaient entre temps des Scandinaves plus ou moins « comme les autres ». Vikings de Jomsborg – Jomsvikinga saga (traduction Régis Boyer, 1982) préfigure en quelque sorte la Sitch cosaque. Borg = forteresse.
  • Ainsi c’est en 1651 que le mot apparaîtra (presque) en France avec la Description d’Ukranie de l’ingénieur militaire Le Vasseur de Beauplan.
  • Nous avons remarqué que les historiens ukrainiens contemporains se refusaient systématiquement à lui accorder le surnom généralement reconnu de « Pierre le Grand », ce qui est symptomatique de leurs sentiments.
  • « Il aurait été attaché par un mari trompé sur un cheval lancé ensuite au galop… » (Lebedynsky). Pour le Grand Larousse, il a « souvent inspiré les poètes romantiques et les artistes ». Il faut par ailleurs lui reconnaître que sa fortune a largement été employée dans le mécénat (ce qui ne l’empêcha pas de charger son pays d’impôts…)
  • Du verbe turc signifiant « attaquer, piller », selon Lebedinsky. A rapprocher des Haïdouks bulgares, partisans anti-ottomans des combats de libération. Les deux termes ont pris une consonance mythique.
  • Ce qui était commun à l’ensemble de l’Europe d’alors où nationalisme et libéralisme faisaient bon ménage : c.f. « Les grands aventuriers de l’histoire – Les éveilleurs de peuple » de Jean Mabire (1982). Malheureusement seul le tome I est paru, et il ne traite pas de l’Ukraine.
  • L’Union pour la Libération de l’Ukraine (SVU), très active, s’occupait en particulier des prisonniers ukrainiens ayant servi dans l’armée russe, et constitua même deux divisions ukrainiennes, celle des « Tuniques bleues » (en Allemagne) et des « Tuniques grises » (en Autriche).
  • Généralement ignoré du public occidental : ainsi le Grand Larousse encyclopédique en dix volumes ne connaît de Traité de Brest-Litovsk que celui signé entre les Puissances Centrales et le gouvernement des Soviets.
  • Personnalité ukrainienne la plus marquante de la période, Simon Petlioura, alors à la tête du Directoire de l’UNR en exil, sera assassiné à Paris en mai 1926 « par le terroriste juif Schwarzbard » (Mykola Riabtchouk, De la « Petite-Russie » à l’Ukraine, 2003) à l’instigation des services spéciaux soviétiques déclare A. Joukovsky. Ceci en représailles des massacres de Juifs perpétrés en 1919 et dont la responsabilité lui a été imputée. Riabtchouk comme Lebedynsky nient cette paternité et invoquent sa proclamation du 12 octobre où l’on peut lire « Les masses travailleuses ukrainiennes et juives vous considèrent comme des libérateurs (…) La peine de mort doit s’abattre sur la tête des pogromistes », outre une déclaration au Jewish morning journal (juillet 1926) de l’ultra-sioniste Jabotinsky lavant Petlioura de l’accusation d’antisémitisme.  L’on peut-se poser la question suivante : Petlioura a-t-il été assassiné par un Juif parce qu’il était antisémite, ou bien l’a-t-on déclaré antisémite parce qu’il a été assassiné par un Juif ? Ou encore cette accusation infamante a-t-elle été propagée par les Services soviétiques pour déconsidérer définitivement un symbole de la résistance ukrainienne ?
  • Pour faire court, la ZUNR (« République Nationale d’Ukraine Occidentale ») rassemblait les territoires ukrainiens qui jusque là faisaient partie de l’Autriche-Hongrie : Galicie, Bukovine et Transcarpathie. Anticipant sur la fin de la guerre, les députés ukrainiens du parlement autrichiens s’étaient réunis à Lvov le 18 octobre 1918, avec les membres ukrainiens des Diètes de Galicie et Bukovine, pour constituer la Rada Nationale Ukrainienne (UNRada) et proclamer un Etat ukrainien sur les territoires représentés : la ZNUR. Mais dans la pratique les Roumains vont occuper la Bukovine, les Polonais la Galicie occidentale, et les Hongrois conserver la Transcarpathie. Et les forces polonaises chassent  le pouvoir ukrainien de Lvov. D’où guerre entre les deux nouveaux états. Ceci amène l’UNRada à accepter l’union de la ZNUR avec l’UNR, proclamée le 22 janvier 1919 à Kiev. Ce qui n’empêchera pas son armée (UHA) de mener dans le courant de l’année ses propres opérations contre les Polonais, et ses représentants à la Conférence de la Paix à Paris de se distinguer de ceux de l’UNR. Sautons à la conclusion : le 14 mars 1923 la Galicie était rattachée à la Pologne. En ce qui concerne la Bukovine,  réunie à l’Ukraine le 6 novembre 1918, elle l’était manu militari à la Roumanie dès le 28, ce que confirmeront les traités de Sèvres et Saint-Germain. Pour la Transcarpathie, après qu’un « Congrès des Ruthènes » ait demandé l’union avec l’UNR, un « Conseil Central Populaire Ruthène », sous influence des émigrés aux Etats-Unis, proclamait la réunion de la Ruthénie subcarpathique à la nouvelle « république fédérative des Tchèques et des Slovaques » (Tchécoslovaquie).  Ce qui sera sanctionné en 1919 par le traité de Saint-Germain.
  • C’est nous qui employons – sans intention polémique – ce terme d’actualité, soigneusement évité par les historiens ukrainiens contemporains.
  • Au sujet des événements complexes et peu connus précédant la Seconde guerre mondiale, le lecteur se reportera avec profit à la monumentale (et très mal nommée)  Histoire de l’armée allemande de Jacques Benoist-Méchin (édition de poche en 1966).
  • Pour Lebedynsky « Les estimations varient entre 3 et 10 millions de victimes, les plus sérieuses se situant entre 5 et 7 millions ». Cet auteur précise que dans le même temps l’URSS exportait du blé pour financer son industrialisation (confirmé par l’ancien apparatchik ukrainien émigré V.A. Kravchenko dans J’ai choisi la liberté publié en 1948). Celui-ci avouait aussi que la promotion de la langue ukrainienne se limitait alors aux indications sur les portes des toilettes…
  • L’historien pointilleux qu’est A. Joukossky se livre à une petite rétention d’information : il omet systématiquement de signaler que la division Galizien était aussi désignée comme 14. Waffen-Grenadier –Division der SS, sans doute dans le but de lui éviter d’être stigmatisée a priori. Son confrère I. Lebedinsky n’a pas la même pudeur et précise que cette grande unité incorpora aussi des nationalistes ukrainiens initialement incarcérées par les autorités allemandes. Contrairement aux autres volontaires étrangers des forces du Reich (Cosaques « russes » de Pannwitz), les survivants ne seront pas remis à la fin de la guerre aux états dont ils avaient la nationalité à son début (ici la Pologne), ce qui leur épargnera un sort tragique.
  • L’auteur se souvient d’avoir connu dans les années 50 un ancien petit propriétaire ukrainien du nom de Denko, devenu ouvrier agricole dans une exploitation de la Région Parisienne. Il lui manquait plusieurs doigts d’une main, et ce n’était pas un accident de travail…
  • Reconnaissons que cette attitude n’était pas l’apanage de la CEI, comme l’auteur a pu lui-même l’éprouver dans les années suivant la chute du « Rideau de Fer » en franchissant en particulier la frontière polonaise (dans un sens comme dans l’autre…) ; et en se rendant sur celle de cet état avec l’Ukraine il a eu l’impression que la guerre était sur le point de se déclencher ! En revanche d’autres (tels les Tchèques) ont rapidement « tourné la page » communiste.
  • Le « major » (commandant) Mykola Melnytchenko, qui s’était réfugié à Prague avec sa famille, avait confié au chef du Parti Socialiste « des centaines d’heures d’enregistrement » (A. Daubenton, Ukraine – l’indépendance à tout prix, 2014) de conversations de Koutchma, effectués alors qu’il était membre de sa Garde présidentielle. Du temps de l’URSS il avait été garde du corps de Gorbatchev : un personnage pour le moins équivoque et dont il est permis de se demander pour qui il travaillait effectivement.
  • La plupart des journalistes français témoignent de leur inculture en parlant de « Place Maïdan » alors que « Maïdan » signifie la place (avec un sous-entendu d’ « Agora »).
  • Symbole fort lorsque l’on se reporte à l’histoire ukrainienne évoquée supra. Et provocation vis-à-vis de Moscou quant on connaît le contentieux de ces deux pays avec la Russie, surtout en rapport avec les séquelles de la Seconde guerre mondiale (Katyn, etc.)
  • Ioulia Tymochneko est un personnage étrange qui plaisait beaucoup aux média français : après s’être « relookée » en Ukrainienne pour groupe folklorique, et passant pour intransigeante sur le plan du patriotisme et de la lutte contre la corruption, elle se trouvait mise en accusation pour « corruption politique » et russophilie, et ceci par le politicien jusque là plutôt considéré comme « l’homme de Moscou » ! Ce qui donne une idée de l’imbroglio ukrainien.
  • La journaliste Annie Daubenton (in Ukraine – L’indépendance à tout prix) estime « probable » que Moscou aurait fait alors des concessions à l’Ukraine pourvu que les détails de l’accord gazier de 2009 ne soient pas divulgués : déjà en mars de cette année-là le SBU (services spéciaux ukrainiens) s’était livré à une intrusion au siège de Naftogaz pour y chercher des documents compromettants.
  • On se souvient que les Ukrainiens se plaignaient jadis que leur langue soit brimée au profit du russe : comme souvent les opprimés n’ont rien eu de plus pressé que de devenir à leur tour oppresseurs une fois au pouvoir.
  • Antoine Arjakovsky en brosse un portrait extatique dans son Russie/Ukraine : de la guerre à la paix ? chapitre « Le fabuleux destin d’Arsène Yatséniouk » : ce serait l’ « anti-Poutine » « chrétien-grec catholique pratiquant » qui « souhaite, lui, désoviétiser les bases de l’Etat ukrainien, l’intégrer à l’Union européenne en puisant dans les ressources de l’Eglise de Kiev », etc. En tous cas « homme d’affaires » lié aux milieux bancaires et pro anglo-saxons. Selon son épouse « son hobby c’est l’anglais ».
  • En environ six mois d’affrontements dans la région du Donbass entre « loyalistes » et « séparatistes » – même appuyés par des Forces spéciales russes comme le prétendent les Occidentaux – le chiffre total estimé des pertes reste largement en dessous des 5 000 morts, ce qui mutatis mutandis est peu comparé à l’hécatombe syrienne – où là ce sont les Occidentaux qui sont fortement soupçonnés d’intervention occulte (de moins en moins).
  • Quotidien Ouest-France du 30 novembre 2014 : « Ukraine : nouvelles sanctions – L’Union européenne a sanctionné treize personnes et cinq organisations, impliquées dans les élections organisées par les rebelles séparatistes dans l’est de l’Ukraine. 132 personnes ont déjà fait l’objet de sanctions dans le dossier ukrainien ». Quand les « démocrates » réprouvent les élections… On remarquera aussi le choix du vocabulaire : les Kosovars étaient traités avec plus de ménagements.

(*) Mise à jour de novembre 2016. Chiffres empruntés à l’article du général (2s) de Bressy « Les dépenses militaires dans le monde » in Bulletin Trimestriel de l’ANOCR (Association Nationale des Officiers de Carrière en retraite) n°466 de juin 2016. Le même texte donne la part des dépenses militaires de la Chine : 13% (2e rang mondial). A méditer.

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