Au Ve siècle avant Jésus-Christ, le monde grec étend son influence à travers toute la Méditerranée grâce à ses 1500 cités-États et aux colonies qu’elles implantent en bord de mer. Deux cités prédominent : Athènes et Sparte. Pour Athènes, le siècle de Périclès va bientôt s’ouvrir. Cette cité décide de soutenir les Etats grecs de la côte ouest de l’Asie, en lutte avec le très puissant empire perse, doté d’un réservoir humain gigantesque et disposant de ressources financières et matérielles à la mesure de sa dimension – un territoire vingt fois plus grand que celui de la Grèce ! Après la répression des cités ioniennes et la défaite de l’Erétrie, principale alliée d’Athènes, le roi perse Darius décide de punir Athènes pour le soutien que cette cité a apporté à ses ennemis. Il envoie donc une expédition attaquer les Grecs en débarquant à Marathon où l’armée perse connaît néanmoins, en 490 av JC, une cuisante défaite sans parvenir à inquiéter la cité athénienne. Une décennie plus tard, Xerxès, deuxième fils de Darius, décide d’une nouvelle expédition pour laquelle il mobilise les gigantesques moyens de son empire. C’est ainsi qu’après quatre ans de préparation, une armée estimée à 210 000 hommes, accompagnée de 1200 navires de guerre, traverse l’Hellespont (détroit des Dardanelles) en mai 480 av. JC pour entamer l’une des plus grandes invasions qu’ait connues l’Europe. Traversant la Grèce du nord au sud, l’impressionnante armée perse avance en direction d’Athènes et de Sparte. Grâce à l’action diplomatique de Thémistocle, chef militaire et homme politique athénien influent, la plupart des cités qui composent alors la Grèce, acceptent de faire front commun au sein de la Ligue de Corinthe pour défendre ce qu’ils ont en commun : « une race, une langue et une religion ». Une fois fixée sur les cités ralliées à la résistance et après les atermoiements de ses membres quant à la définition de la meilleure stratégie à adopter, la ligue décide d’envoyer sa flotte remonter la côte à hauteur d’une ligne reliant le défilé des Thermopyles au détroit de l’Artémision.
C’est alors que Léonidas, roi de Sparte, accepte la lourde charge de mener une troupe de quelques milliers d’hommes dont 300 guerriers issus du corps d’élite des hoplites, afin de retarder la gigantesque armée Perse au fameux défilé des Thermopyles. Cette décision devait avoir la double vertu de faire gagner du temps à l’armée grecque et d’encourager les dernières cités hésitantes du Sud à rallier la ligue de Corinthe.
A cette époque, Léonidas règne déjà à Sparte depuis dix ans. Il a démarré sa carrière militaire à 20 ans comme tous ses compatriotes. En tant que chef de guerre, il dirige la redoutée phalange hoplitique, infanterie d’élite de l’armée grecque, à laquelle n’accèdent que certains citoyens en fonction de leur classe sociale et de leur âge. Pratiquant une existence très austère (nourriture simple, vie familiale réduite, interdiction d’exercer leurs droits politiques, entrainement militaire constant), les guerriers à la célèbre cape rouge étaient réputés dans toute la Grèce pour leur valeur guerrière et surtout pour leur courage. Incitant à s’inspirer de leur exemple, Maurice Bardèche écrit, dans son livre Sparte et les Sudistes (1969) : « [A Sparte] le précepte de courage était clair et résolvait toutes les difficultés. Le courage donnait accès à l’aristocratie et l’on était exclu de l’aristocratie si l’on manquait de courage… L’éducation n’avait pas d’autre but que d’exalter le courage et l’énergie. » L’auteur nous rappelle aussi que, loin d’une littérature qui, majoritairement, réduit Sparte à une caricature de société militarisée, Sparte doit en réalité d’abord être vue comme une idée basée sur le fait qu’un homme ne vaut que par le destin qu’il se donne et que son statut tient bien plus à ses actes qu’aux richesses qu’il possède. Pour Bardèche, Sparte incarne aussi une certaine idée de la liberté : c’est la cité où la liberté consiste justement à faire le choix de renoncer à une part de sa liberté individuelle pour consacrer celle-ci à la protection du groupe, de ses mœurs et de ses lois.
La bataille
Les combats se déroulent du 18 au 20 août de l’an 480 av JC, ce qui donne déjà une idée de la résistance des Spartiates qui retiennent durant 3 jours une armée dont la dimension était sans comparaison possible avec celle des Grecs. Toutefois, la supériorité numérique des Perses est rendue inopérante par la configuration des lieux. L’étroitesse du passage des Thermopyles contraint les fantassins perses à se jeter sur les larges boucliers et les armures de bronze des hoplites et à s’empaler sur leurs longues lances. Durant les journées des 18 et 19 août 480, de plus en plus éreintés mais gardant, grâce à leur discipline et leur endurance, une combativité inébranlable, les combattants de la phalange grecque repoussent tous les contingents envoyés contre elle, y compris les troupes d’élite de Xerxès, les fameux Immortels. Mais la trahison d’un Grec, Ephialte, permet à Xerxès de prendre connaissance d’un sentier montagneux qui peut lui permettre de contourner la position défendue par Léonidas et de faire prendre à revers sa troupe, pendant que l’armée perse continue à mettre la pression sur le mur de défense des Lacédémoniens. Il est dit alors que Léonidas, se sachant condamné, préféra préserver une grande partie de son armée en lui ordonnant la retraite tandis qu’avec un bataillon de 300 de ses hoplites et quelques autres braves, il choisit de se sacrifier non seulement pour donner le temps à ses soldats d’exécuter leur retraite, mais aussi pour que son sacrifice, véritable acte de dévotion avant l’heure, serve d’électrochoc capable d’emporter le ralliement des cités réticentes à rejoindre la ligue de Corinthe.
Après un solide déjeuner et la promesse que Léonidas leur avait faite « qu’ils souperaient le soir même dans l’Hadès », les Spartiates se mettent pour la dernière fois sur le pied de guerre, attendant silencieusement le choc des lignes perses. Mais afin de rendre leur défaite aussi coûteuse que possible pour Xerxès et de ne pas attendre les volées de flèches des troupes chargées de les prendre à revers, Léonidas fait charger ses hommes droit sur l’ennemi. Même après la mort de leur roi, les Spartiates se battent jusqu’à la fin, avec toutes les armes qu’il leur reste et jusqu’au dernier.
Demeuré comme l’un des exemples les plus illustres du dévouement à la patrie, ce combat, bien qu’étant une défaite tactique qui n’empêcha pas l’armée perse de reprendre sa progression, fut une victoire stratégique puisqu’elle provoqua une sorte de sursaut qui conduisit aux victoires grecques décisives de Salamine (480) et de Platées (479). Ce qu’il faut retenir Le sacrifice de Léonidas et des Spartiates aux Thermopyles est l’exemple même de l’engagement pour la défense de sa terre, le choix entre « vivre libre ou mourir ». Mais il est aussi une illustration de la capacité à privilégier l’intérêt commun. En effet, Léonidas ne se faisait sans doute aucune illusion sur sa capacité à stopper l’armée achéménide mais il savait que son geste offrirait non seulement du temps mais surtout un exemple à suivre pour les Spartiates et plus largement pour tous les Grecs.
Nicolas L.