La désertification du rural se combine en Bretagne avec une inversion territoriale. Au siècle dernier, la majorité des Bretons vivaient à plus de 10 kms de la mer. Cette majorité s’est déplacée vers le littoral et s’est largement urbanisée. La désertification du rural et la périphérisation des zones urbaines renforcent le phénomène d’acculturation.
De plus, la Bretagne est frappée par l’incapacité qu’a la France à reconnaître et à valoriser son identité historique et à comprendre qu’il n’existe pas d’opposition entre une identité française nationale et une identité bretonne enracinée. L’originalité de notre nationalisme est que nous percevons deux autres menaces majeures pour l’identité bretonne. Il y a l’islamisation, qui tend à insérer un logiciel civilisationnel exogène incompatible avec le logiciel autochtone européen. La deuxième menace, en termes d’acculturation et de périls tout à fait conséquents, est le “wokisme”.
L’identité bretonne s’est construite aussi en réaction au regard que l’on porte sur nous. Pendant longtemps, les Bretons ont été perçus très négativement en France. En témoigne le poème écrit en 818 par l’ecclésiastique Ermold le noir, compagnon de route de Louis Le Pieu dans son expédition bretonne pour déchoir le premier roi de la Bretagne unifiée. Il y décrit la Bretagne comme “une nation menteuse, orgueilleuse, et rebelle, perfide”.
Si cette négativité perdure pendant de nombreux siècles, un renversement s’opère en 1975 avec la parution de l’ouvrage de Pierre-Jacquez Hélias, Le Cheval d’orgueil. Un livre qui rend hommage à la Bretagne et en particulier au pays Bigouden, au Sud-Ouest du Finistère. Cette parution coïncide avec une transformation du territoire breton dans les années 1970 : “Au sein d’une région économiquement arriérée, se met en place la modernisation de l’agriculture, le plan breton – un plan routier visant à désenclaver la Bretagne via un réseau de routes à quatre voies – et la transformation du paysage et du modèle social”. L’exode rural dès la fin du 20e siècle a par ailleurs nourri une identité construite depuis l’extérieur de la Bretagne, ce qui l’amène à penser qu’”il n’y a pas une identité, mais des opérations d’identification.
Rappelons qu’il y a eu, depuis toujours des événements porteurs d’identité, comme la révolte des bonnets rouges en 1675 où les Bretons se sont insurgés contre l’impôt du roi, la grêve du Joint Français en 1972, et en 2013 lors d’un nouvel épisode des bonnets rouges, en référence au précédent, où les Bretons ont manifesté contre l’écotaxe. Pendant longtemps, les deux identités, française et bretonne, se sont opposées. Pendant longtemps, les Bretons ont vécu cette espèce d’hégémonie franco-française terrible.
Les désaccords persistent autour du bilinguisme ou du rattachement de Nantes (actuellement dans le Pays de la Loire) à la Bretagne. Rappelons la honte infligée aux enfants coupables d’avoir parlé breton à l’école. La punition c’était la “vache” accrochée au cou. Le dernier élève à avoir cet objet à la fin de la journée, est puni. Mais ce n’est pas tout puisqu’il y a aussi des châtiments corporels : coups de règles sur les doigts, mettre un élève à genou sur une règle ou encore pendre une paire de sabots en bois, un galet, ou encore un bout de bois autour du cou. Ainsi, les enfants vont culpabiliser, avoir honte de leur langue, ce breton qu’ils parlent, transmis par leurs parents et par le curé (le catéchisme était dit en breton). A l’époque, seul Jean Jaurès va s’opposer à ce genre de pratique et au contraire, proposer un enseignement bilingue français-langue régionale.
Lire : Langues et cultures régionales : en finir avec l’exception française – Fondation Jean-Jaurès (jean-jaures.org)