Il est temps que la France fasse preuve de maturité

Laurent Sagalovitsch — 24 mars 2023 à 10h12

Il existe deux manières de considérer la France telle qu’elle se dessine sous nos yeux. Soit comme un pays si attaché à l’idée d’égalité que toute tentative avérée ou non de porter atteinte à cette espérance déclenche une vague de protestation émaillée de violence, d’une violence qui serait à la hauteur du crime commis, la remise en cause de son modèle social.

Soit elle incarne une forme d’immobilisme, d’un pays rempli de doutes et de craintes qui de peur d’affronter un avenir incertain préfère camper sur ses acquis au risque de perpétuer un système impuissant à satisfaire les aspirations des uns et des autres. Une France cadenassée, verrouillée, destinée à ressasser à l’infini la complainte d’une nation autrefois puissante et rayonnante et désormais vide de toute énergie, sorte de malade plus ou moins imaginaire qui refuserait tout remède pour se soigner et s’extirper de sa léthargie.

Il se peut aussi fort bien que la France soit un mélange de ces deux tendances, une contrée foncièrement animée d’un idéal de justice sociale né de ses aspirations révolutionnaires, marqueur si omniprésent et puissant que rien ni personne ne saurait porter atteinte à cette philosophie sans se voir opposer un refus farouche. Un pays qui finalement préférerait être uniformément malheureux que de voir ses inégalités se creuser.

Quoi qu’il en soit, le spectacle n’est guère réjouissant. Les présidents ont beau se succéder, ils se heurtent tous au même désamour quand ce n’est pas simplement à de la franche détestation. Sitôt un gouvernement formé, il nourrit toutes sortes de ressentiments lesquels débouchent tôt ou tard sur des mouvements de colère et de protestation, de remise en cause de l’ordre établi sans qu’on voie émerger dans le brouillard des manifestations une nouvelle espérance capable de réconcilier les Français avec leur si singulier destin.

C’est qu’à force de vouloir tout et son contraire, d’essayer NicolasFrançoisEmmanuel sans trouver chaussure à son pied, de rejeter en bloc tout ce qui pourrait s’apparenter à une velléité de changement, on pourrait finir par se demander si la France n’est pas simplement devenu un pays ingouvernable. Ou qui ne pourrait être gouverné que si on s’entendait à ne rien changer à l’ordre existant, une inclinaison somme toute vertueuse si les Français n’étaient point autant enclins à se déclarer insatisfaits de leur sort.

Car il est là le formidable paradoxe français! Dans cette insatisfaction permanente doublée d’une volonté de ne rien changer à rien. Avec comme conséquence, une perpétuation de son propre malheur et une incapacité chronique à imaginer des lendemains qui puissent sourire à tous. L’expression d’une dépression larvée, d’une neurasthénie précieusement conservée, d’un empêchement de la volonté qui conduirait le pays à ne rien entreprendre à même de soulager ses maux.

D’où la perplexité de l’observateur qui se demande à quel jeu joue la France si ce n’est à rejoindre tôt ou tard le camp des démocraties illibérales, de fiançailles à peine éhontées avec l’extrême droite, cette démangeaison autoritaire qui au fond aura de tout temps exercé une certaine fascination sur la nation française. L’ordre, l’autoritarisme, la stature et la prestance d’un pouvoir fort, le repli sur son pré carré national, la conservation de valeurs traditionnelles, la stigmatisation de l’immigré responsable de tous les errements, c’est ce qu’il reste quand on a épuisé toutes les autres formes de gouvernance.

Ce n’est pourtant pas inévitable. Si seulement pour une fois les Français, au lieu de se défier les uns les autres, acceptaient l’idée que se donner l’accolade le temps d’une réforme ou d’un texte de loi, ne signifie en rien le renoncement à ses propres idéaux. Qu’afficher en toutes circonstances une intransigeance forcenée n’est en rien une démonstration de force mais bien plus l’aveu d’une philosophie incapable d’évoluer et de répondre aux défis de son temps.

Dire «noir» parce que son opposant a dit «blanc» n’a qu’une seule vertu, déchirer encore un peu plus le pays et l’amener au bord du précipice. Il n’est jamais trop tard pour changer mais l’heure tourne. Dans l’effervescence de la réforme des retraites tant contestée, parmi la violence qui creuse chaque jour un peu plus son sillon, au milieu de la déraison d’un personnel politique de moins en moins savant mais de plus en plus acquis au populisme, il est grand temps que la France fasse preuve de maturité et de sang-froid.

Il est même moins une.

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