Le nationaliste John Redmond présente le drapeau irlandais à un corps de volontaires. University College Cork, Ireland
Les liens entre l’Irlande et la Bretagne ne datent pas que des migrations celtiques du Ve. Si des échanges profonds unissent encore les deux peuples celtiques, c’est bien à travers l’histoire politique, économique et culturelle du XXe qu’ils se nouent. L’année 2016 ? « C’est le centenaire du soulèvement irlandais de Pâques 1916 qui aboutit à l’indépendance de la république d’Irlande et aussi à la partition de l’île », répondent les organisateurs du comité Eire-Breizh, Irlande 1916-2016. En Irlande, les commémorations dureront une dizaine d’années : la création d’un État irlandais libre s’est faite après plusieurs années de guerre civile, jusqu’en mai 1923.
Durant l’entre deux guerres, l’indépendance irlandaise marque les esprits politiques indépendantistes ou autonomistes, en Bretagne et ailleurs. Dans les années 1970 ou 1980, la lutte armée de l’IRA ou les grèves de la faim des prisonniers politiques irlandais le feront tout autant. Dans son ouvrage The Longman companion to European nationalism, 1789-1920, R. Pearson qualifie l’insurrection de Pâques 1916 comme une source « d’inspiration [pour les] nationalistes Bretons. ».
C’est sûrement vrai. Pourtant, ce stimulus historique est souvent présenté sur un ton indifférent, ce qui minimise de façon significative la profondeur et la complexité des relations brito-irlandaises. L’Irlande et la Bretagne, ainsi que les expatriés irlandais et bretons dans la France entière, ont eu des interactions diverses avant la Première Guerre mondiale et pendant la période révolutionnaire irlandaise (1916-23). Bien que limitées, ces influences ont aidé à développer le nationalisme breton et ont légitimé l’internationalisme du mouvement de l’indépendance irlandaise. Le centenaire de la Pâques 1916 invite à une revue de ces relations, tant du point de vue des racines culturelles et des connections politiques, que de la nature et de l’ampleur des réactions suscitées à l’étranger par l’insurrection irlandaise.
Connections avant la Première Guerre mondiale
Le catholicisme est un lien culturel important entre l’Irlande et la France pendant toute la période moderne, ce que la Grande Bretagne a souvent compris au-delà d’un fait religieux commun. Les lois pénales destinées à réduire l’influence catholique, notamment sur le plan politique, sont instaurées dans le but d’éliminer la menace Jacobite au profit de la Protestant Ascendancy en Grande Bretagne et en Irlande. Une surveillance plus étroite est déployée pour contrôler l’étendue et l’influence du nationalisme irlandais à la suite de la Grande famine (1845-52), particulièrement quand les principaux idéologues du mouvement Young Ireland essayent d’internationaliser la cause irlandaise, surtout en France et en Amérique du Nord. L’intérêt des Français pour les Irlandais augmente dans les dernières décennies du XIXe siècle à mesure que l’impérialisme britannique risque de marginaliser les intérêts français en Afrique. Pendant ce temps, Paul Cambon, l’ambassadeur de France en Grande Bretagne, établit des rapports scrupuleux sur l’opinion publique irlandaise et sur l’activité nationaliste, documents qu’il adresse au ministre des Affaires étrangères, Théophile Delcassé. En dehors des cercles politiques, des réseaux irlandais en France font écho du sentiment nationaliste de la mère-patrie. Par exemple, en 1897, L’Irlande Libre – « la voix des expatriés à Paris » – identifie l’Angleterre comme « l’ennemi de la paix mondiale », en faisant référence à l’hégémonie navale et l’expansion coloniale britannique. Cette rhétorique s’adoucit à la suite de l’Entente Cordiale, du fait de l’alliance de la Grande-Bretagne et de la France face à la puissance croissante de l’Allemagne en Europe. Cependant des dissidents et des activistes culturels continuent à être actifs en Bretagne et en Irlande. Ils plaident pour une autonomie régionale déconcentrée ou régionalisée et font ressusciter une littérature de contes folkloriques afin de démontrer leurs traditions historiques distinctes et séparées. Ces mouvements, avec des contributions venues d’Ecosse et du Pays de Galles, aident à créer et à renforcer une identité panceltique.